Les livres avec Eulalie Par Eulalie | 15H15 | 17 décembre 2019
Installé à Roubaix depuis un an, Antony Huchette est rentré au pays après plusieurs années passées outre-Atlantique. C’est désormais depuis son atelier du Non-Lieu, ancienne usine textile investie par un collectif d’artistes, qu’il travaille sur sa prochaine BD et envoie ses dessins aux titres de presse internationale les plus prestigieux. Dans ses livres comme en interview, l’homme ne craint pas de se raconter. C’est heureux car, en seulement trente et quelques années, son parcours est impressionnant.
À dix-huit ans, Antony Huchette quitte Fleurbaix pour Paris, laissant derrière lui une enfance tranquille et des parents prêts à le soutenir dans sa future carrière. En parallèle à ses études d’animation aux Arts décoratifs, il devient d’abord assistant au studio AAA créé par Jacques Rouxel, le créateur des fameux Shadoks. Quelque temps plus tard, le voilà embauché chez Prima Lineaproductions où il travaille sur Peur(s) du Noir, un ensemble de six courts métrages en noir et blanc considéré aujourd’hui comme une référence du cinéma d’animation. Il y fait une première rencontre décisive, celle de Blutch, figure emblématique de la BD indépendante dont il est grand lecteur et qui lui ouvre la voie par son audace narrative.
C’est avec cette envie de liberté qu’il part ensuite à Chicago poursuivre ses études. De l’autre coté de l’Atlantique, il découvre des artistes pluri-disciplinaires comme Gary Panter qu’il côtoiera plus tard à New York et dont il admire la capacité à transmettre le plaisir du dessin. Durant cette année d’« épiphanie créative », il écrit son premier album Marée haute qui paraît chez 6 pieds sous terre. Ce récit d’une aventure amoureuse pose les bases de son univers de fiction surréaliste dans lequel les histoires s’imbriquent avec fluidité. Rêve et réalité s’y confondent déjà habilement, affirmant l’un des thèmes de prédilection de l’artiste. Dès lors, il comprend aussi ce qui le lie à la BD : « J’aime ce côté intime avec le lecteur, penser qu’il tient cet objet entre les mains et qu’il peut tracer en esprit le chemin que l’on a fait avec notre crayon. »
Après un court retour en France, diplôme en poche, Antony Huchette décide de repartir pour les États-Unis. C’est à New York, la plus européenne des villes américaines, qu’il élit cette fois domicile. Parti pour six mois, il y restera six ans. De cette période, il tire Brooklyn Quesadillas qui sort chez Cornélius en 2013. Ce récit d’aventures autobiographique porte ses questionnements sur la paternité et le passage à l’âge adulte. Réalisateur de talkshows en galère, Joseph vient de s’installer à Brooklyn avec femme et enfant et vit de petits boulots. Jeune père, il oscille entre les moments de bonheur avec son fils et l’angoisse d’une vie toute tracée. Un quotidien plutôt morose qui bascule lorsqu’il est kidnappé par des actrices de séries TV tombées dans l’oubli qui lui promettent la vie éternelle. Pas dupe, Joseph s’enfuit pour retourner auprès de sa petite famille. Complètement débridé, ce voyage initiatique dévoile autant la mélancolie sourde de son auteur que sa capacité à maîtriser une logique narrative très personnelle.
Durant ces années new-yorkaises, le destin frappe à nouveau à sa porte, formant autour de l’artiste une « constellation bienveillante ». Après une courte expérience à Charlie Hebdo, Antony Huchette cherche toujours à travailler pour la presse. Sur les conseils de son ami Philippe Dupuy, il multiplie les contacts. Alors qu’il a déjà écrit plus d’une centaine de fois à Nicholas Blechman, directeur artistique de la New York Times Book Review, ce dernier finit par accepter de le recevoir. « Un miracle s’était produit, quelqu’un lui avait donné Brooklyn Quesadillas. » Quelques semaines plus tard, le voici chargé de réaliser deux illustrations pour le quotidien américain. Passé au New Yorker, Nicholas Blechman continue à lui passer commande.
Remarqué par le directeur de rédaction Joseph Ghosn, Brooklyn Quesadillas lui ouvre également les portes de Grazia. Pendant un an, il y illustre chaque semaine une chronique de la journaliste Marie Colmant. Pour les besoins de cette série, il abandonne le noir et blanc radical de ses premiers livres et développe un style ludique en aplats dont les couleurs acidulées et le graphisme minimaliste s’accordent à une sérénité retrouvée. Complémentaire de la bande dessinée, l’illustration offre un rapport différent au travail. « L’illustration, c’est très court, cela me permet de garder de la fraîcheur. Je suis dans mon atelier, tout seul, à réfléchir à des sujets auxquels je ne me serais jamais intéressé sans ces commandes. C’est un peu comme les maths. Quand j’ai trouvé une idée, je suis heureux. Il y a un plaisir immédiat du dessin, un plaisir de faire. La BD, c’est plus laborieux. Je n’aurais pas l’énergie pour ne faire que ça. » À chaque nouveau dessin, Antony Huchette mesure sa chance d’être son propre patron, de ne pas avoir à rendre de comptes. Mais cette liberté a un prix, qui n’est pas indexé sur celui des loyers new-yorkais. Soucieux d’offrir à son fils un peu de confort et de mettre un terme à une histoire douloureuse, il choisit de refermer cette longue parenthèse américaine.
À son retour, Antony Huchette souhaite passer radicalement à autre chose. Il se lance dans la création d’un livre pour enfant avec l’envie de raconter une histoire dans la grande tradition de la littérature jeunesse incarnée par Tomi Ungerer. Chacun à leur manière, les personnages de cet album Saul, monsieur Rêve et le morceau de mur composent un nouveau portrait de leur auteur, attentif, curieux et passionné. Saul rêve de mettre de la couleur dans la ville. Le morceau de mur explose les limites. Monsieur Rêve prend soin du sommeil de ses concitoyens. Avec douceur et simplicité, Antony Huchette donne aux enfants ce conseil : « Avec un peu d’imagination, beaucoup de travail, le rêve peut devenir réalité. »
Clotilde DEPARDAY
Antony Huchette
homemadequesadilla@gmail.com
https://antonyhuchette.cargo.site – Instagram
Ce contenu est © DailyNord. Si cet article vous intéresse, vous pouvez reprendre un extrait sur votre site (n’excédant pas la moitié de l’article) en citant bien évidemment la source. Si vous désirez publier l’intégralité de l’article, merci de nous contacter »
Réagir à cet article
La rédaction de DailyNord modère tous les commentaires, ce qui explique qu'ils n'apparaissent pas immédiatement (le délai peut être de quelques heures). Pour qu'un commentaire soit validé, nous vous rappelons qu'il doit être en corrélation avec le sujet, constructif et respectueux vis-à-vis des journalistes comme des précédents commentateurs. Tout commentaire qui ne respecterait pas ce cadre ne sera pas publié. Evidemment, DailyNord ne publiera aucun contenu illicite. N'hésitez pas à avertir la rédaction à info(at)dailynord.fr (remplacer le "at" par "@") si vous jugiez un propos ou contenu illicite, diffamatoire, injurieux, xénophobe, etc.