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Les retraités des municipales (2) : Jacques Vernier, un poids mi-lourd évite le combat de trop

DailyUne Par | 15 avril 2014


A Douai, Jacques Vernier n’a pas été battu. A la différence d’un Michel Delebarre à Dunkerque, il a préféré s’épargner le combat de trop. Vrai champion ou trop prudent ? Il s’agit désormais d’assumer la succession ratée  d’un héritage globalement réussi malgré les sérieux couacs de fin de règne. 

Jacques Vernier en jeune premier. Détail d'une affiche électorale de 1983.

Jacques Vernier en jeune premier. Détail d’une affiche électorale de 1983.

Mais comment n’a-t-il pas pu devenir ministre ? Question piège. Car il avait tout pour réussir au sommet de l’Etat, l’ancien maire de Douai. Formé aux meilleures écoles de la République –  X-Mines -, Jacques Vernier mène de pair une carrière d’ingénieur des grands corps et d’élu. Il avait donc tous les atouts pour revendiquer un bâton de général dans un gouvernement. En attendant celui de maréchal. Las, les Carignon et les Barnier, peut-être plus proches du soleil chiraquien que lui, occuperont le ministère de l’environnement. Une responsabilité qui lui allait comme un gant, lui que l’on considère toujours comme un des meilleurs spécialistes français du sujet, de la protection de l’eau à la transition énergétique, en passant par les matières dangereuses et la prévention des risques technologiques. Les béotiens s’instruisent toujours sur les Que-Sais-je ? consacrés à ces thèmes et qui portent sa signature. Avec la précision d’un ordinateur, ils sont régulièrement actualisés par leur auteur. Avec cette double compétence, rare, d’ingénieur et d’élu – et qui rappelle furieusement une certaine NKM, Jacques Vernier s’est frayé un chemin.

Houspilleur d’industriels

Dans les années 70, jeune patron de l’agence de l’eau Nord-Picardie après s’être occupé de la pollution du Rhin par les sels de potasse et de celle de la Seine, il houspille sans ménagement les industriels du cru et les grands élus coupables à ses yeux de négligence quant aux rejets de leurs eaux usées. Certains réclameront ouvertement sa tête au préfet de région d’alors ! Manque de chance, André Chadeau et Jacques Vernier se connaissent bien et s’apprécient. Point commun et pas des moindres, Jacques Chaban-Delmas, dont Chadeau fut le bras droit à Matignon et Vernier le sympathisant et supporter lors de la campagne présidentielle de 1974. Le Vernier politique était né. Restait à se forger un socle. Fin observateur de l’air du temps et des profondes mutations de la société, le jeune pur-sang aux airs de gendre idéal enfourche le destrier du consumérisme et crée au galop une association de consommateurs dont les deux mille adhérents en feront l’une des plus importantes de l’Hexagone.

Trop doué pour la métropole

C’est décidé, Jacques fera carrière à Douai. Car la métropole lilloise n’a pas voulu de ce jeune hobereau trop doué qui a effrayé plus d’un de ces grands féodaux encloués dans leur fief. Ainsi Serge Charles, le maire RPR* de Marcq en Baroeul s’est-il empressé d’aiguiller notre douaisien dans les limbes quand celui-ci avait montré son intérêt pour la circonscription que lui-même convoitait. Nous étions en 1978 et Vernier s’était découvert une ambition à l’occasion de la campagne de Lille l’année précédente. Proche de Norbert Segard, ministre du gouvernement Barre et qui avait défié Pierre Mauroy, il se coltine réunions dans les cages d’immeubles et les collages d’affiches. Un duel émaillé de faits divers parfois haut en couleurs, toujours à la lisière du crapoteux (on avait même tiré des coups de feu).

Pacte secret ou fair-play ?

Alors qu’à Douai, le notable Charles Fenain est en roue libre et ne veut pas livrer le combat de trop. Certes, le sympathique communiste Georges Hage, Géo le Bolcho, comme il se surnommait lui-même, ne peut l’inquiéter. Mais Charles, qui sait l’usure de l’âge et l’outrage toujours armé de l’opinion, a décidé de passer le témoin. Prudent et sentimental, il refuse de trancher entre ses deux fils spirituels. Jacques et Marc. Ce dernier, Marc Dolez, dont le père Carlos fut député MRP du secteur, est l’assistant parlementaire de Bernard Derosier et jeune espoir du clan Mauroy. Cette année-là, un derby avait surgi. Entre Jacques Vernier et lui, ce sera un chassé-croisé à chaque élection, le premier à l’hôtel de ville de la Cité de Gayant, ancienne capitale judiciaire puis celle des Houillères, à l’électorat modéré et stable, le second sur la circonscription, une terre plus populaire, parfois imprévisible. Non loin, dans le Cambrésis, le socialiste Jean Le Garrec et le gaulliste Jacques Legendre jouaient la même pièce presque au même moment. A chaque fois, on parla même de « pacte secret » entre les deux hommes. De ces arrangements qui font les délices des convives dans les dîners ou sur le zinc des comptoirs. « A toi la ville, à moi le fief« . Ou l’inverse… Ce que l’on sait, c’est la grande courtoisie qui réglait les rapports entre les deux personnalités que l’on n’ose nommer adversaires tant l’estime partagée était portée haut. Une courtoisie plus que républicaine. On parlera même de fair-play.

Ré-organisateur de carpharnaüm

Vernier est sur une trajectoire ascensionnelle. Et ne rejette pas un certain goût pour le cumul des mandats mais s’en méfiera par la suite. Après le parlement de Strasbourg en 1984, il est désigné par son camp – devant Maurice Schumann s’il-vous-plaît – pour mener une liste aux régionales de 1986. Malgré la concurrence surprise d’un certain Charles de Gaulle – le petit-fils- sur une liste de droite marquée UDF, il fait bonne figure. Meurtri par cet épisode qui lui rappelle combien la politique est une foire d’empoigne sans principes, le jeune maire se prend au jeu du mandat régional et devient une figure respectée. D’ailleurs, il siège toujours dans l’hémicycle régional. On est venu le chercher il y a peu pour mettre de l’ordre dans ce capharnaüm du logement minier et régler la succession explosive d’un certain Jean-Pierre Kucheida à la tête de Maisons et Cités. Il a ainsi souvent pris le chemin de la capitale pour tirer les sonnettes des ministères et des grandes administrations afin d’y plaider la cause du Nord-Pas de Calais, en plus de celle du Douaisis. Y compris à la tête de délégations oecuméniques rassemblant ses collègues de la gauche socialiste et communiste. Le profil gaulliste de gauche de ce catholique revendiqué, même s’il n’est pas affiché clairement, reste évident. Tout comme cette dimension écolo de droite, assez rare dans le paysage politique**. Que des oxymores, s’empresseraient de persifler les chafouins ! De même, ce choix cornélien pour Edouard Balladur à l’occasion de la présidentielle de 1995 alors que le coeur commandait Chirac. De quoi rendre perplexe plus d’un prétendant à un strapontin au gouvernement. Faut-il y voir un début de réponse à la question du début ?

Calamités du dernier mandat

Son dernier mandat sera le plus dur. Un dossier calamiteux de tram-bus (« Evéole, c’est du vent ! « , se moquaient les opposants même si le projet était porté par l’agglomération) pour le Douaisis, un adjoint qui rue dans les brancards, des ambitions déçues donc des dissidences, une discorde qui s’installe, une fronde commerçante face à un projet d’aménagement du centre ville… : le système Vernier vacille. C’est le lot des séquences ininterrompues qui durent et perdurent. Ces dernières années convainquent le maire, presque septuagénaire, qui sait mieux que personne lire l’horloge du temps, d’éviter l’issue fatale, c’est-à-dire le combat de trop. Françoise Prouvost, la dauphine naturelle, fait les frais de la situation. Raccrocher les gants après 31 ans de mandat reste une sortie honorable. Surtout si c’est pour assister à une alternance de gauche, ce camp qui l’aurait si facilement accepté si la main du destin n’en avait décidé autrement. Le nouveau maire, le socialiste Frédéric Chéreau, a le même âge que Jacques Vernier en 1983 quand il a été élu pour la première fois.

 

* Même au sein de son propre parti d’alors, qui n’a jamais été un monde d’enfants de choeur, il se heurtera au maire de Marcq-en-Baroeul de l’époque qui le devancera pour le leadership du RPR-Nord,

** Dans le registre écolo de droite, on soulignera la carrière du RPR puis UMP Christian Decocq, ancien challenger de Martine Aubry à Lille, lui aussi poussé dans la pépinière de l’agence de l’eau Nord-Picardie.

A relire, notre premier volet Les retraités des municipales sur Michel Delebarre à Dunkerque

 


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2 Commentaires

  1. on peut faire la comparaison avec le maire de DK : Mêmes etudes ( X ), même debut lui l’agence de l’eau naissante, l’autre la direction de l’Agence d’Urba de DK, des neurones vifs comme l’eclair, l’habitude de traiter des dossier avec de multiples variables et le don de synthetiser vite et de manière convaincante; >Mais 31 ans, ce n’est plus possible parce qu’une telle durée sterilise les jeunes pousses.

  2. Même s’ils ont la même formation et le même tempérament, il y a une différence essentielle entre Jacques Vernier et Michel Delebarre. Le premier a anéanti DOUAI pourtant prospère à son arrivée, et le deuxième a su développer une ville fort mal en point lorsqu’il l’a prise en mains.
    Suite à une réglementation foncièrement anti-voitures, le commerce du centre de DOUAI est en perdition, alors qu’à DUNKERQUE le commerce de proximité se porte plutôt bien grâce à une circulation restée fluide et à une capacité de stationnement impressionnante.
    Le premier n’a pas voulu admettre le vieil adage anglo-saxon « No parking, No business » alors que le deuxième l’a bien compris!

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