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HOMMAGE

Les retraités des municipales (1): Michel Delebarre, le tsar est nu

Petite histoire Par | 03 avril 2014

Comme à chaque fois, la fin des municipales est l’occasion de dire au revoir à quelques personnalités qui ont émaillé la vie politique régionale pendant plusieurs décennies. Hommage à travers cette petite série de portraits en plusieurs épisodes. Premier invité : Michel Delebarre à Dunkerque. 

dunkerque-delebarre

Pour symboliser la raclée prise par le PS dans la région au second tour des municipales, La Voix du Nord décide de mettre Michel Delebarre en Une. C’est cruel.

Il est des crépuscules plus doux. La défaite sans appel  – trente points d’écart ! – de Michel Delebarre dans son fief réputé inexpugnable de Dunkerque sonne presque comme une mise à mort. Puis, c’est l’hallali annoncé à la communauté urbaine qui a longtemps signifié ce système Delebarre tant reproché à son titulaire mais dont les affidés se détournent brutalement au gré des allégeances et des génuflexions (Patrice Vergriete s’est assuré les votes pour la présidence). Semaine tragique pour l’ancien aide de camp de Pierre Mauroy dont il fut le représentant le plus doué de sa génération et qui se retrouve presque nu avant l’espoir de panser ses plaies au Palais du Luxembourg, autant dire au cimetière des éléphants. Une génération désormais en voie d’extinction. Et pourtant…Elu au premier tour il y a six ans, celui que ses adversaires et obligés surnommeront le tsar – pour son envergure dominatrice – aurait mérité une sortie moins saignante. Après tout, la transformation de la cité portuaire lui doit beaucoup. C’est oublier la cruauté de la politique. Déjà à Rome…

Une main de fer, ça rouille

Combat de trop, cumul des mandats dans l’espace et dans le temps, usure du pouvoir, lassitude de l’opinion, système municipal désormais trop décalé et qui fut trop prégnant,…, une main de fer, ça rouille…les explications ne manquent pas. Ajoutons l’équation de Patrice Vergriete, son successeur dans la ville de Jean-Bart, un profil d’exception dont l’épopée naissante peut évoquer à plus d’un titre celle d’un Jean-Louis Borloo à Valenciennes il y a 25 ans. Décidément ! Michel Delebarre s’était déjà heurté au vrai Borloo au cours de ces empoignades restées fameuses pour la présidence du conseil régional qu’il n’occupa que trois courtes années après « s’être roulé par terre pour l’avoir « , comme se moquera une Marie-Christine Blandin, l’écolo qui lui avait dérobé la flamme en 1992. Lui dont le profil commandait percées fulgurantes et coup de main surprises dut se résoudre à la patience et aux palabres. Quand la foudre s’éteint dans le volcan.

Il ne put jamais vraiment se déprendre de l’emprise du parti socialiste, surtout au niveau local, ses coteries et ses influences occultes qui n’auront de cesse d’essayer de le faire trébucher, par jalousie d’abord, par calcul partisan ensuite. Le jeune Michel réfléchit comme il agit, vite et bien.  » Ah, s’il avait été de droite« , regrette cet élu qui l’a bien connu, et Delebarre aurait fait un fameux capitaine d’entreprise publique ou privée, convenons-en. Et c’est ce que le landerneau socialiste lui reproche. Lui le protégé de Mauroy, entré dans la bergerie via un premier job dans un comité régional d’expansion économique, alliance paritaire entre patrons et élus, puis qui a gravi quatre à quatre la hiérarchie administrative. Catholique de naissance et d’adolescence scout, passe encore, mais copain des patrons ! Qui plus est, gendre du recteur Debeyre, cet autre Pygmalion, lui aussi électron libre dans l’univers de la gauche locale. Delebarre a eu autant d’ennemis dans son camp que dans celui d’en face.

A relire également sur DailyNord au sujet de Michel Delebarre

– Nord – Pas-de-Calais : la fin du socialisme municipal. Lire cet article. 

– Michel Delebarre : comment (re)cumuler pour mieux sauter. Regarder cette vidéo.

– Ces batailles électorales sanglantes : Dunkerque 2001/2008, ils ont cassé leur beau miroir. Lire cet article.

– Patrice Vergriete, opposant venu de l’intérieur : « Dunkerque mérite autre chose ». Lire cet interview.

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Avec la défaite de Michel Delebarre, c’est la génération Mauroy qui tire sa révérence

Pour le jeune Bailleulois tout avait commencé avec Pierre Mauroy qui mit le pied à l’étrier de ce jeune écuyer impatient au début des années soixante-dix, et tout finit avec le même, entendez dans son sillage désormais teinté d’amertume. Sa chute soudaine et douloureuse résonne avec la disparition l’année dernière du Moïse des socialistes qui savait guider le peuple de gauche et endiguer les mauvaises tempêtes. C’est la génération Mauroy qui tire sa révérence. Une différence et de taille. L’ancien maire de Lille n’a quasiment jamais connu la poussière de la défaite dans ses fiefs respectifs et là où il avait décidé de combattre. Une rare aura d’invincibilité. Son élève aura connu tout ce que la politique peut offrir : du sang et des larmes, des sacres romains et des batailles homériques. Delebarre à Dunkerque aura copié et reproduit la machine électorale qu’il avait réglée pour son maître lillois, capable de compenser par sa manière pateline et paternelle. Ce que les commentateurs nomment un système*. Sorte de mécanique froide – trop ? – à base de rouages et de relais dans la ville, de réseaux et de prébendes. Volontiers autoritaire, Delebarre ne compense pas comme Mauroy. Il est un fils, pas un père. Respecté car craint. La machine fonctionna à plein régime pendant un quart de siècle. Cette dernière grippée, son deus ex machina sort de l’histoire.

Bonapartiste de gauche

Super-cumulard, Delebarre justifiait son appétit par une grande puissance de travail : « J’aime travailler « , répétait-il à l’envi quand on le questionnait sur ses addictions de mandats et responsabilités. Avançons le chiffre d’une trentaine et la liste dans le temps est trop longue. Il reprenaient les journalistes** qui négligeaient sa promotion dans la préfectorale. Devenir un grand commis de l’Etat était pour lui comme une consécration de carrière, plus, une révélation presque mystique pour ce passionné de service public jusque sur la face sombre de l’Etat – il sera mis en cause dans une affaire d’ écoutes – dont il connait tout des petits et grands rouages. Alors préfet ! Voilà bien qui signifie au mieux le tropisme bonapartiste de gauche de Michel Delebarre, ce décentralisateur de raison mais jacobin de corps. Girondin de coeur, mais républicain dans l’âme.

L’impossible succession

« Premier ministre-bis« , titraient les gazettes quand, dircab à Matignon, le quadra Delebarre fouettait l’intendance de Pierre Mauroy, figure de proue du régime, à la fois Caulaincourt, Las Cases et Ney de son grand homme. Donc promis aux plus hautes destinées, d’ailleurs il sera sept fois ministre – avec talent – et même premier ministrable, sorte de club pour personnalités surfeuses sur l’air du temps et coqueluches des médias. Dix ans plus tard, le maire de Lille, qui l’avait poussé sur le littoral, aurait bien voulu l’introniser dans le fauteuil de grand architecte du parti, rue de Solférino. Au moins autant pour vexer ce Fabius qu’il n’aimait pas et qui le lui rendait bien. Las ! la manoeuvre échouera et une nouvelle fois, Delebarre ne succédera pas à Pierre Mauroy. Car leur histoire c’est aussi celle d’une succession impossible. On n’ose dire ratée. Préparer son dauphin, c’est mourir un peu…Jamais Mauroy n’aurait été capable d’écrire ainsi sa propre mort par anticipation, et puis les conséquences politiques sont trop dangereuses, pour le parti, pour l’entourage, pour la légende. Lille, communauté urbaine, circonscription lilloise – celle de Roger Salengro, devenue celle de Pierre Mauroy ! – parti socialiste, Matignon,…, Delebarre ne rentre pas dans les habits de Mauroy. Et ce n’est qu’en 2011 que cet éternel éconduit épouse enfin l’histoire en succédant au sénateur Mauroy… Probablement son dernier mandat.

* Il sera intéressant d’observer comment son successeur s’en accommode. Rappelons que la campagne de Patrice Vergriete a été placée sous le signe d’une nouvelle gouvernance et d’une démocratie locale renouvelée.

** Ainsi votre serviteur. Delebarre entretient des relations parfois tendues avec la presse. Personnalité attachante et chaleureuse, plus complexe sous le vernis des apparences, l’ancien ministre de la Ville a souvent répondu :  » Je ne vis pas de regrets ». Le voici à l’épreuve des faits.

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2 Commentaires

  1. Un bel article pour un bel hommage d’un homme intelligent et profondément honnête qui a fait un excellent travail à Dunkerque.
    Merci Michel et merci Marc

  2. Bonjour, très bel article (vraiment). Mais quand vous convenez qu’il aurait fait un bon chef d’entreprise (publique ou privée), je me permet d’y mettre en « bémol »…. Il est aujourd’hui, encore, le président d’Opal’TV, Société Anonyme d’Economie Mixte. Ce format juridique combine les 2 : publique et privé….. Mais le constat est lourd : 600 000 E de déficit en décembre 2012, 800 000 E de déficit cumulé annoncé pour décembre 2013. Donc comme chef d’entreprise…… Bon, il est clair qu’il n’était jamais là et n’a jamais contrôlé quoique ce soit…. Résultat : 15 salariés dans l’attente et l’incertitude depuis 6 mois (pour cause d’élections rien de bouge !), donc dans l’incertitude de leur avenir qui semble bien compromis au regard de l’intérêt porté à leur sort.

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