Petite histoire Par Nicolas Montard | 20 mars 2014
Europe et développement durable. Deux concepts à la mode. Pourtant, ce qui se trame à la frontière franco-belge, entre Bray-Dunes et Adinkerke, semble aller à leur encontre. Infrabel, le RFF belge, souhaite démonter des passages à niveau ferroviaires non utilisés, ce qui porterait, jugent les opposants, un coup d’arrêt à une possible réouverture d’une ligne ferroviaire transfrontalière fret ou voyageurs.
Dans la brume matinale, alors que le soleil tente timidement d’inonder la Flandre maritime en ce printemps avant l’heure, José Plesier marche sur la voie ferrée sans crainte. Pas de danger en effet : ici, entre Bray-Dunes et Adinkerke (juste avant La Panne), ça fait quelques années que les trains ne circulent plus : 1958 pour les voyageurs (même s’il y eu quelques trains épisodiques durant l’été à la fin des années 80), 2002 pour les marchandises (la ligne avait fonctionné à plein régime de 1870 à 1958). Un constat d’ailleurs qui le désole depuis des années : « Pour passer de Dunkerque vers La Panne, en train, vous devez prendre le train jusqu’à Lille ». Partir ensuite à Gand, voire Bruxelles pour revenir à La Panne. Un voyage hypothétique qui durerait des heures (on a fait le test sur le moteur de recherche de la SNCF, voir ici) alors que les deux cités sont distantes de quelques kilomètres (et qu’il existe un bus néanmoins…). A l’heure de l’Europe, 20 ans après l’ouverture des frontières, ça la fout mal, mais ça fait des années que ça dure. Et des années que le porte-parole de l’association Trekhaak73 espère que ça va réouvrir un jour.
C’est mal barré. Et ça crée des tensions depuis quelques semaines sur cette zone frontalière. Car si la ligne ne fonctionne plus, son infrastructure existe toujours. Jusqu’à quand ? En janvier, Infrabel (l’équivalent du Réseau Ferré de France en Belgique) a décidé de procéder à des premiers travaux (couper l’alimentation électrique d’outils de signalisation, bloquer les aiguillages). Lundi 24 mars, le démontage du passage à niveau frontalier (entre Bray-Dunes et Adinkerke) est prévu. En 2015, d’autres aiguillages de cette portion de ligne seront également démantelés « puisque cette ligne ne présente pas d’intérêts côté français », déclarait Infrabel, à La Voix du Nord en février.
Ce qui était légèrement inexact. Car si elle n’est pas en effet actée, la réouverture d’une possible ligne Dunkerque-Adinkerque/La Panne) fait partie des discussions côté français. Le schéma régional des transports et des mobilités du Conseil Régional l’évoquait en septembre ; la délibération mobilité de la communauté urbaine de Dunkerque aussi en octobre. Les deux collectivités se disent prêtes à étudier la réouverture de la voie, même si rien n’est encore fait et qu’une note d’information récente à la Direction des Transports du Conseil Régional parle tout de même de 300 millions d’euros pour remettre le tout en état. L’idée d’une réouverture est même citée dans le programme PS/EELV aux municipales de Michel Delebarre à Dunkerque. Sous quelle forme ? On n’en sait encore rien, rien n’est encore acté, mais la réflexion a le mérite d’exister.
A l’heure en tout cas où l’A16/E40 est remplie de camions et où l’on prône le développement durable, cette affaire apparaît donc étonnante. Pourquoi Infrabel se hâte-t-il de démonter la voie, s’interroge Paulo-Serge Lopes, conseiller régional, installé dans le Dunkerquois ? « Ce démantèlement annoncé va en effet à l’encontre des réflexions du Conseil Régional et de la Communauté urbaine de Dunkerque. On y voit un intérêt notamment car une réouverture s’inscrit dans la prolongement de la rénovation de la ligne Calais-Dunkerque (qui sera terminée cette année, voir ici). J’avoue qu’on est extrêmement surpris de la tournure que ça prend. » Et l’inquiétude pour le conseiller régional, c’est qu’en commençant le démantèlement de la voie, ceux qui souhaitent couper définitivement toute liaison ferroviaire entre Flandre belge et France en profitent pour affecter les terrains à d’autres usages. Et empêcher par la suite une réouverture-reconstruction de la ligne. « Il y a un potentiel : économique notamment entre les ports français et belges notamment, pour les trains de marchandises », ajoute l’élu. Pour les voyageurs, c’est à voir : la note d’informations à la Direction des transports du Conseil régional estimait qu’il n’y avait pas une demande suffisamment forte pour le moment. Mais de toute façon, pour l’élu régional, il n’y aucune urgence à supprimer définitivement cette infrastructure qui ne gêne personne. Avis bien évidemment partagé par le groupe d’action belge Trekhaak73 : « à l’heure de l’Europe, c’est incompréhensible. D’autant qu’ici, c’est le seul passage Flandre-France. » Preuve que l’affaire dépasse le contexte local, elle est même remontée jusqu’au Sénat belge où des élus se sont posés des questions, sans pour autant avoir de réponses claires.
Nous en avons obtenu d’Infrabel, par la voix d’un de ses portes-paroles, qui tient à minimiser l’affaire : « Les trains ne roulent plus depuis de nombreuses années sur cette voie. Nous avons donc décidé d’agir en gestionnaire scrupuleux des deniers publics : plutôt que d’entretenir des voies qui ne servent à rien, des passages à niveau, des outils de signalisation, nous les démontons petit à petit, comme ce passage à niveau qui sera asphalté fin mars pour le confort des automobilistes. » De quoi empêcher toute velléité de réouverture de ligne à plus ou moins long terme ? Non, répond encore Frédéric Sacré : « De toute façon, si réouverture il y a un jour suite à une demande, il faudrait faire de gros travaux. Ça n’hypothèque rien. Mais aujourd’hui, dans le plan pluriannuel d’investissement de la région flamande (qui va jusqu’en 2025), cette ligne n’est même pas évoquée. Il n’y a pas de demande des opérateurs non plus » Quant au déclassement des terrains, « ça ne fait pas partie des options envisagées« . Du côté belge, un observateur, plutôt favorable à la réouverture de la ligne, tient aussi à éviter le « Belgium bashing »: « C’est un peu facile de prétendre maintenant que la France est en faveur de la réouverture de la ligne 73 et la Belgique pas. » En rappelant qu’en leur temps, les chemins de fer français avaient fait le choix de dévier le trafic de transit entre Angleterre et Allemagne par une autre ligne qu’Adinkerke, par exemple.
Alors, inquiétude légitime ou pas ? En tout cas, tandis que lundi, Infrabel commencera à démonter son passage à niveau frontalier, les membres de Trekhaak73 mèneront une action eux en nettoyant la voie, à deux pas de là. Ironiquement. On ne saurait que leur conseiller de se passer l’hymne européen pour se mettre de l’entrain.
Et pour ceux qui aiment les frontières, n’hésitez pas à relire notre très très grand format « Le long de nos frontières disparues« .
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A l’heure où l’on ne parle que de diminuer le trafic routier trop polluant, l’intérêt ne serait-il pas de réhabiliter cette ligne et bien d’autres d’ailleurs même si un coût financier important est à prévoir,
Je pense notamment au transport de marchandises par voie ferroviaire, solution non négligeable à développer face aux problèmes de pollution.
L’article de DailyNord aurait-il produit son petit effet?
En tout cas, l’association belge trekhaak73 a été informée aujourd’hui par la police que les travaux sont reportés à une date indéterminée. En effet, la bourgmestre de la Panne n’a pas donné l’autorisation pour l’installation de panneaux de déviation avant le chantier du passage à niveau de la frontière… du coup Infrabel est coincé.
Trekhaak73 nous informe que la manifestation de lundi à 9h au passage à niveau de la frontière pour demander l’arrêt des travaux et la réouverture de la ligne EST MAINTENUE.
plus d’infos en français:
https://fr-fr.facebook.com/pages/R%C3%A9ouverture-ligne-Dunkerque-AdinkerkeVernieuwing-van-de-treinlijn/181803101838681
Faut ovrir cette ligne de suite!