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Dynasties politiques (2) : quand la République devient monarchie

Réflexions Par | 30 janvier 2013

Et si la politique était plus une histoire de gènes que d’élection ? N’exagérons rien. Mais notre région regorge d’exemples de fils de, cousins de, conjoints de, qui squattent l’échiquier politique du Nord – Pas-de-Calais.  Deuxième volet de notre dossier, quelques jours après les dynasties économiques

Petite devinette : quel est le point commun entre Marine Le Pen et Martine Aubry ? Ce sont des femmes bien entendu. Elues dans la région, évidemment. D’un caractère pas facile, cela va sans dire… Mais les deux ex-prétendantes à l’Elysée (même si la socialiste a été écartée lors des Primaires) ont un autre atome crochu : elles sont toutes les deux nées dans la marmite de la politique. Le père de Martine Aubry est Jacques Delors, celui de Marine Le Pen est Jean-Marie Le Pen. Une petite dynastie est en marche, notamment chez les Le Pen, où la nièce vient d’entrer à l’Assemblée Nationale…

Anne-Lise Dufour-Tonini, députée-maire de Denain : « La politique, je baigne dedans depuis petite, comme Obélix »

Anne-Lise Dufour-Tonini, députée-maire de Denain,perpétue une dynastie. Sa mère était première adjointe dans les années 80-90. « La politique, je baigne dedans depuis que je suis petite, comme Obélix, nous confiait-elle lundi, dans le cadre de l’interview sur le projet quinquennat. Dès l’âge de 7 ans, je l’ai suivie partout. » A 18 ans, la Denaisienne s’engage, naturellement. Mais sur une liste socialiste… au grand dam, de sa mère, communiste. « Le communisme, c’est extraordinaire, mais je considérais que ça ne pouvait marcher qu’avec une mitraillette. » Vous vous doutez que la maman a apprécié.

Fils et petit-fils de !

Et à bien y regarder, dans la région, il n’y a pas que les leaders politiques qui se transmettent le virus politique par le sang… Parfois, on se transmet même la mairie de père en fils. L’exemple le plus connu ? Jean-François Caron, l’élu Europe-Ecologie-Les-Verts, fils et petit-fils de maire de Loos-en-Gohelle qu’il dirige aujourd’hui (voir également encadré où il s’exprime sur cette question). D’autres exemples de transmission de père – ou de grand père – en fils – ou petit-fils) ? Le grand-père du député-maire Jean-Jacques Cottel était déjà maire de Beaulencourt. A droite, Jean-Pierre Bataille a succédé à son père Jean-Paul à la mairie de Steenvoorde, gérée depuis 1965 par la famille ! Un vrai petit royaume local. A Bruay-la-Buissière aussi, on ne tue pas le père : maire de Bruay-en-Artois de 1965 à 1987, puis de Bruay-la-Buissière suite à la fusion de 1987 à 1989, Marcel a vu son fils, Alain Wacheux, reprendre le trône en 1999. A Hénin-Beaumont, encore, Pierre Darchicourt, qui n’est plus maire depuis 2001, devait beaucoup au patronyme qui lui a légué son père Fernand, premier édile dès les années cinquante. A Armentières, Bernard Haesebroeck a aussi rempli le flambeau de papounet Gérard. Petit cocorico régional également : la mairie de Fressain, village de moins d’un millier d’habitants, est quasiment resté pendant deux cents ans sous le giron des Lanvin, soit cinq générations de maires de 1813 à 1993 (c’est écrit dans le bouquin en lien) !

Parfois (mais pas toujours…) de véritables dénis de démocraties

Les exemples précédents se néanmoins passés devant les électeurs. Après tout, si le citoyen souhaite voter pour la même famille de suffrage universel en suffrage universel, c’est son problème. Mais d’autres fois, dans les relations filiales, on a eu de beaux dénis de démocratie.  A Douvrin, en 2001, Joseph Pasquier se fait réélire. Lors du premier conseil municipal, il fait élire maire son fils, Vincent Pasquier, alors pourtant loin sur la liste ! Une manie du Pas-de-Calais d’ailleurs : à Billy-Montigny, on se souvient encore que Papa Troni (Otello) s’était arrangé pour faire élire fiston (Bruno) pendant le mandat… C’est toujours plus pratique que devant les électeurs et au final, la famille règne depuis trente-six ans sur son petit royaume.

Jean-François Caron « très fier de ses origines»

On lui avait posé la question au moment des Législatives : pouvait-on parler de dynastie lorsqu’on évoquait les Caron à la tête de Loos-en-Gohelle ? « Je suis très fier de mes origines et de mon histoire familiale, nous répondait Jean-François Caron. Mes père et grands-pères m’ont transmis des valeurs fondamentales. Mon grand-père maternel Voltaire était délégué mineur, meneur de grève. Ses frères s’appelaient Juvenal, Rosa, Eglantine, Ferrer, Louise-Michel et Danton. Vous imaginez bien l’engagement politique lorsqu’il a pris la succession de mon arrière-grand père paternel à la tête de la ville… Mon père a notamment instauré une logique d’auto-gestion pour la ville de Loos-en-Gohelle. En tant que membre du bureau national des SCOP, les sociétés coopératives et participatives, il a géré une entreprise où il n’y avait un rapport que de 2,5 entre le plus haut et le plus bas salaire. Il a vraiment transformé la ville de Loos-en-Gohelle, il l’a clairement dynamisée. Je suis donc porteur de cet engagement militant mais je me suis orienté vers l’écolo-social. J’aurais pu rester au Parti Socialiste par pure tradition familiale. J’aurais pu prendre une autoroute politique. Mais j’ai fait le choix de l’écologie par conviction. Parce qu’il faut qu’on arrête de détruire la planète. Moi, je suis kinésithérapeute de formation. C’est sûr que j’aurais pu gagner beaucoup plus en m’installant en cabinet libéral. Mais j’ai fait un autre choix.»

Tuer le père

On peut aussi créer une dynastie sans forcément avoir la même fonction de père en fils. Là, encore la liste est longue : Delphine Bataille, sénatrice, est la fille de Christian Bataille, député (entre les deux chambres du pouvoir, on retrouve également deux frères : le député Alain Bocquet et le sénateur Eric Bocquet). Bertrand Alexandre est conseiller général du Pas-de-Calais, son père, Jean-Marie, est maire de Souchez et vice-président du Conseil Régional. A Valenciennes, Francis Decourrière, pygmalion-en-chef de la droite locale – il a chaperonné un certain Jean-Louis Borloo il y a 25 ans – fut député européen : sa fille, Valérie Létard, est aujourd’hui présidente de l’agglo après avoir été secrétaire d’Etat. L’ascenseur social existe donc aussi en politique. Comme  pour Yann Capet, nouveau député du Calaisis, fonction que son père, élu régional, avait tenté de briguer en son temps.

La filiation ne fonctionne pas toujours

A contrario, parfois les fils ou filles échouent à reprendre le flambeau : dans le Pas-de-Calais, Hervé Poly essaie de devenir maire comme maman. Il a aussi tenté la députation, mais s’est fait griller la priorité dans la dernière ligne droite par Jean-Luc Mélenchon. A Liévin, le tout jeune Jérôme Darras (fils d’Henri, prédécesseur de Kucheida) n’était qu’un espoir en devenir en 1981 quand son père de maire – et conseiller général – est mort. On l’a parfois retrouvé dans les conseils municipaux locaux, mais un certain Kucheida avait bien repris et verrouillé la mairie.  Autre cas de dynastie politique avortée – pour le moment -, celle des Mellick : l’homme qui faisait diligence partout où on le réclamait et qui laissera sa marque à Béthune a eu deux fils, Miguel et Jacques, tentés par le démon du pouvoir, que ce soit sur un canton béthunois ou dans le sillage parfumé au scandale de DSK. Pour l’heure, aucun n’a encore égalé le père sauf à régaler les lecteurs des chroniques politiques et judiciaires.

La fonction politique fait-elle partie de la dot ?

Pas de parents en politique ? Rassurez-vous, il reste une bonne vieille pratique d’Ancien Régime qui fonctionne apparemment avec succès dans la région. Le mariage. Petit exemple : Michel Delebarre, qui épouse la fille du célèbre recteur Debeyre, proche d’un certain Pierre Mauroy dont il est un des adjoints à Lille. Le futur maire de Dunkerque y puisera l’élan nécessaire à sa brillante trajectoire. C’est d’ailleurs chez les Delebarre une vraie tradition familiale. Wulfran Despitch, compagnon de la fille de Delebarre, est aujourd’hui adjoint au maire de Dunkerque et vice-président au Conseil Régional du Nord – Pas-de-Calais ! En attendant mieux ? Il n’aime pas qu’on en parle… mais tant pis pour lui : Daniel Percheron, sénateur et président du conseil régional, est le compagnon de Régine Splingard, fille de l’ancien sénateur-maire d’Outreau et conseillère régionale. Le président du conseil régional, apôtre du socialisme municipal, manie la généalogie politique comme personne. Plus local, encore : à Bully, Michel Vancaille a passé le flambeau à son gendre, François Lemaire. Ça devait faire partie de la dot, souffle un journaliste pernicieux ! Même cas de figure à Vendin-le-Vieil, nous signalait un lecteur la semaine dernière : Raphaël Dufour était maire de 1942 à 1989, son gendre, Didier Hiel, par ailleurs vice-président du Conseil Général du Pas-de-Calais, a repris le flambeau (un lecteur nous signale qu’il s’est marié avec la nièce de Raphaël Dufour). Soit soixante-dix ans de règne familial… La fonction politique se transmet aussi parfois entre conjoints : Marc-Philippe Daubresse, le député-maire UMP de Lambersart, n’aime pas qu’on lui rappelle qu’il a pistonné son adjointe Brigitte Astruc, conseillère régionale.

Parfois, cependant, les liens de parenté et les affinités politiques sont étranges. Si en général, père-fils, cousin, gendres-beau-père militent au sein des mêmes chapelles et obédiences, ce n’est pas toujours le cas. On se souvient que Charles de Gaulle petit junior fut membre du FN et député européen après avoir jeté le trouble à droite en prenant la tête d’une liste UDF dans le Nord aux régionales de 1986 ! La nièce de Pierre Mauroy, Brigitte Mauroy, est elle plutôt gauche moderne que gauche socialiste et ne manque pas de le faire savoir. Les mystères de la génétique.

D’autres dynasties ont pu nous échapper. N’hésitez pas à les rajouter dans les commentaires.

 

Trois questions à Frédéric Sawicki, professeur de science politique à Paris I : « Le nom est un capital politique »

 Frédéric Sawicki, professeur de science politique à Paris I, revient pour DailyNord sur les raisons objectives expliquant la tranmission héréditaire des élus

DailyNord : Comment expliquer la persistance de dynasties politiques dans le Nord – Pas-de-Calais ?

Frédéric Sawicki : Il n’y a pas d’études permettant d’affirmer que le Nord – Pas-de-Calais est plus marqué par ce phénomène. En revanche, cette surreprésentation des élus issus de familles d’élus est avérée. Elle découle de l’importance de la personnalisation en politique. En France, beaucoup de scrutins sont personnalisés : maires, conseillers généraux, députés… On vote pour un nom. Or le nom est un capital politique. Par ailleurs, les enfants d’élus se familiarisent plus facilement avec la politique : ils contracteront plus facilement un goût pour la chose publique, une envie d’acquérir certaines compétences, ils auront l’occasion de rencontrer d’autres élus, des militants… ça peut agir comme répulsif mais aussi comme modèle.

DailyNord : Certains territoires sont-ils néanmoins plus marqués que d’autres ?

Frédéric Sawicki : Oui, notamment en milieu rural où l’on assiste à une stabilité de certaines familles d’élus. La réputation, les réseaux relationnels, la possession de terres favorisent une transmission héréditaire plus grande. Dans le bassin minier, agrégation de villages, les électeurs connaissent très bien leurs élus. Très présents sur le territoire, ils font un gros travail de proximité et transmettront ensuite ensuite le prestige accumulé à leurs enfants. Et ce, d’autant que ce sont les personnes âgées qui votent le plus, ce qui encourage la stabilité de l’élu en place et de celui ou celle qu’il adoube.

DailyNord : Cette transmission est-elle plus importante dans certains partis ?

Frédéric Sawicki : Elle est traditionnellement plus importante à droite qu’à gauche. A gauche, il fallait faire ses preuves par le militantisme. C’est de moins en moins vrai depuis que les partis peinent à se renouveler. C’est le cas au PC qui connait des difficultés à attirer des nouveaux membres et qui est dominé par des enfants ou petits-enfants d’élus. Le cas de Pierre Laurent, fils de Paul Laurent, dirigeant historique du PC, en est un bon exemple. Mais le PS connaît le même phénomène dans les régions où il est implanté depuis longtemps comme dans le Nord – Pas de Calais, notamment dans les villes où le renouvellement de population est faible. Quand le parti devient moins attractif pour des nouveaux venus issus du militantisme ou des mouvements sociaux, les « fils de », les gendres, les cousins sont plus visible. En ce sens, cette transmission héréditaire ne barrent pas forcément la route à d’autres.

Propos recueillis par Alexandre Lenoir

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4 Commentaires

  1. Et quid de l’etude des intercommunalités taillées sur mesure pour satisfaire les ambitions et verrouiller les postes ?
    Et dans combien de nouvelles intercommunalités le president a-t-il abandonné sa mairie d’origine à son fils ou à son gendre pour prendre la tête de la nouvelle institution ? Ce système a tant fonctionné que les prefets ont eu ordre de procéder à un elaguage. Car le mille feuilles fournit tant d’opportunités de pression et de cartes ou l’ambition personnelle peut jouer.

    C’est aussi une consequence du cumul des mandats au titre de l’attachement à un territoire ( qqefois pour une minuscule commune ou circonscription. La fin de ces situations ubuesques tient dans la diminution drastique du nombre des communes minuscules pour constituer des entités de 30 000 hbts de manière à avoir de vrais services techniques. On ne vit plus sur une commune dont les limites datent de la revolution mais sur un territoire bien plus vaste.
    Enfin, dans le desert economique actuel, se faire elire, il ne faut pas hesiter à l’ecrire, fournit des revenus et une position sociale qu’avec un peu d’habileté, on peut transformer en 1ère etape d’une ascension sociale jusqu’au nirvana absolu : sénateur… Quand on visite le palais du Luxembourg, on comprend pourquoi.

  2. Alexandre,
    A quand un papier sur les fils et filles de dans le monde de la culture et du pestak ?

  3. Merci Patrick pour cette suggestion. ça vient, ça vient…

  4. Vendin-le-Vieil – Canton de Wingles – Pas-de-Calais : Didier HIEL, Maire, vice-Président du Conseil Général, n’est pas le gendre de Raphaël DUFOUR ; il est marié avec la NIECE de Raphaël DUFOUR… Il fut une époque où les femmes n’avaient pas pignon sur rue en politique, on puisait donc dans la réserve des conjoints.

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