Alors que l’implantation de villages d’insertion voulus par les pouvoirs publics suscite généralement des tensions assez fortes, comme très récemment à Hellemmes, à l’abri des caméras, un établissement géré par une association défend depuis trois ans sa propre conception de l’intégration pour les Roms. Dans une ancienne école de Ronchin, Martine Puzin et les bénévoles de l’association la Pierre Blanche accueillent ainsi cinq familles. Etat des lieux d’une initiative citoyenne qui commence à porter ses fruits.
Article proposé à la rédaction de DailyNord par Foulques Delbar et Vincent Fourniquet (*)
Le site d’accueil de Ronchin a vu le jour au début de l’année 2010, suite au démantèlement d’un campement Rom appelé « la jungle » et situé sur une bretelle d’autoroute à hauteur de Villeneuve-d’Ascq. Il s’agissait dans un premier temps pour la Pierre Blanche de mettre les familles expulsées à l’abri, et l’école privée Sainte-Thérèse, alors inoccupée, faisait figure de site adéquat. Non contents d’avoir fait face à cette situation d’urgence, les bénévoles se sont ensuite attelés à la question de l’intégration des familles Roms.
En avril 2010, les occupants de l’ancienne école ont signé un contrat avec la Pierre Blanche, un peu à l’image de ce qui se fait dans les villages d’insertion : en échange du soutien apporté par l’association, notamment sur le plan matériel (logement, nourriture, chauffage…) , les familles se sont engagées à rechercher une activité, à arrêter la mendicité, à apprendre le français et à scolariser les enfants. « L’intégration par l’école est fondamentale » souligne à cet égard Martine Puzin, présidente de l’association.
A l’heure actuelle, tous les enfants concernés par ce projet sont ainsi scolarisés dans des écoles et collèges de Ronchin. Quant aux adultes, ils débitent du bois pour l’antenne nieppoise d’Emmaüs, en échange d’un revenu mensuel de 600 euros par famille. Ils stockent également de la ferraille qu’ils revendent par ailleurs, avec le consentement de l’association. Certains d’entre eux se sont même vu attribuer le statut d’auto-entrepreneur, dans la catégorie, « marchand ambulant ».
Malgré ces avancées notables, le projet de la Pierre Blanche à Ronchin n’est pas forcément vu d’un bon œil par les autorités. Si la mairie a tout de suite été partie prenante, l’association s’est rapidement vue rappeler à l’ordre par la Préfecture. En prenant unilatéralement la décision d’héberger des Roms avant de se soucier des possibilités d’intégration, les bénévoles auraient en quelque sorte brûlé les étapes. Surtout, l’association n’a pas respecté le schéma administratif en vigueur concernant la prise en charge d’étrangers en situation irrégulière. « L’urgence de la situation le justifiait », se défend Martine Puzin.
Il a pourtant bien fallu mettre les pieds dans le plat. Les bénévoles ont alors pris conscience de l’ampleur de la tâche et des difficultés auxquelles ils allaient être confrontés sur le plan administratif. Qu’il s’agisse d’accès au logement ou à l’emploi, les démarches à accomplir s’avèrent bien souvent longues et fastidieuses, éloignant d’autant plus les perspectives d’intégration à court terme.
L’objectif de la Pierre Blanche est de faire en sorte que les familles de l’école Sainte-Thérèse puissent à terme trouver leur place dans la société française. Et en matière d’intégration « l’accès à l’emploi constitue le nœud du problème », continue Martine Puzin. Pour y remédier, la Pierre Blanche a entamé une collaboration avec l’association Vitamine T, qui valorise l’insertion par l’activité économique. Cette démarche vise à obtenir pour les Roms des titres de séjour dérogatoires et les autorisations de travail qui en découlent, documents indispensables pour accéder à l’emploi.
Pour le moment, aucun des Roms présents à l’école Sainte-Thérèse n’a pu être recruté. Les entreprises qui s’étaient manifestées en ce sens ont dû se rétracter devant les blocages administratifs et l’activité de coupage de bois mise en place avec le concours d’Emmaüs demeure donc pour les Roms la principale source d’occupation et de revenus. L’incertitude concernant leur insertion par le travail demeure, même si l’association espère encore obtenir des embauches pour deux pères de familles d’ici 2013.
Si les Roms pris en charge par la Pierre Blanche disent vouloir s’établir en France, ils savent à quel point cet objectif sera difficile à atteindre. Bien que la situation dans leur pays d’origine, la Roumanie, leur soit nettement défavorable, ils y conservent des attaches et le retour est pour certains d’entre eux une solution envisagée.
En attendant que leur situation se stabilise, ils essayent, selon Martine Puzin, « d’assurer un avenir à leur enfants par le biais de l’école ». Ces derniers montrent une réelle motivation pour l’apprentissage et font preuve d’une certaine aisance dans l’usage du français, ce qui n’est pas toujours le cas de leurs aînés. Néanmoins, ils éprouvent parfois certaines difficultés à s’adapter au système éducatif et les parents ne se soucient guère de savoir si les devoirs sont faits. La Pierre Blanche a donc mis en place un dispositif de suivi scolaire, mais la présidente de l’association estime qu’il « n’est pas suffisant ». « Il faudrait faire appel à des éducateurs » regrette t-elle encore.
Sur la vingtaine d’enfants et d’adolescents vivant à l’école Sainte-Thérèse, la plupart sont en maternelle ou en primaire. Quatre d’entre eux sont au collège. C’est notamment le cas d’Amar, qui à son arrivée en France a suivi un enseignement en CLA, classe d’accueil et d’adaptation réservée aux primo-arrivants, avant d’être réintégré en 3ème. Les bénévoles, qui voient en l’école un vecteur d’intégration sur le long terme, espèrent qu’Amar et les autres pourront aller au bout de leur parcours scolaire. Mais pour eux comme pour leurs parents, difficile de se projeter dans l’avenir.
Les perspectives d’intégration à long terme demeurent donc extrêmement floues pour les Roms de l’école Sainte-Thérèse. Martine Puzin est néanmoins convaincue que « le problème de l’intégration n’est pas propre à cette population ». Elle reconnaît que les Roms « ne se projettent pas dans l’avenir » mais précise que « cette attitude est caractéristique de familles qui vivent depuis des générations dans une très grande misère ».
Les bénévoles eux-mêmes ont parfois du mal à savoir quelles sont les intentions de ces familles auxquelles ils viennent en aide. Ils font état d’une certaine méfiance vis-à-vis des non-Roms et de l’existence d’une barrière culturelle qui limite les échanges aux seuls aspects pratiques. Les discussions tournent la plupart du temps autour des aléas de la vie quotidienne et les Roms se gardent bien de révéler leurs éventuels projets d’avenir. La présidente de la Pierre Blanche est toutefois sûre d’une chose : les familles dont son association s’occupe ne souhaitent pas pour le moment quitter l’école Sainte-Thérèse, où elles se sentent chez elles. Pas question d’évoquer un éventuel placement en village d’insertion, et pour cause :« l’école constitue pour les Roms un espace de liberté. Avec le village d’insertion, ils auraient le sentiment de régresser » affirme t-elle.
Sans compter sur la « notion de clan », très prégnante au sein de la petite communauté et qui amène les Roms à vouloir rester ensemble pour pouvoir continuer à se prêter main forte. Or un déplacement sur un autre site d’accueil signifierait sans doute une dispersion de ces familles. C’est donc au compte-goutte et à travers la structure mise en place à Ronchin que l’association continue à envisager leur intégration.
Martine Puzin aimerait voir les Roms se responsabiliser et se prendre en charge plus rapidement, mais elle sait aussi que cela prendra du temps et qu’il « faudra continuer à proposer un accompagnement » à ceux d’entre eux qui seront finalement devenus autonomes. L’engagement des bénévoles devra donc se poursuivre sur la durée. Pour que l’action de la Pierre Blanche n’ait pas été vaine, et que l’intégration devienne une réalité pour les Roms de Ronchin.
(*) Article proposé par des journalistes extérieurs à la rédaction de DailyNord. Vincent Fourniquet et Foulques Delbar suivent au long cours la question « roms » dans la métropole lilloise Ils devraient d’ailleurs créer un blog d’actualités consacré à la métropole lilloise d’ici peu (et nous aurons l’occasion de vous l’annoncer).
Retrouvez également leurs deux premiers articles diffusés sur DailyNord :
Roms à Lille : mais que se passe-t-il donc depuis le mois d’août ?
A Hellemmes, le village d’insertion passe au forceps
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