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Doux à Graincourt : reportage chez les dindons de la farce (2/2)

Réalités Par | 13 novembre 2012


Deuxième partie de notre reportage grand format consacré aux ex-salariés du volailler Doux. Lâchés par leur employeur, les ouvriers occupent l’usine depuis la mi-septembre dans l’attente d’un repreneur. DailyNord est allé à la rencontre des ex-Doux, de leur lutte, de leurs peines et espoirs.

Nadine, durant la visite de l'abattoir où restent quelques "vestiges".

En ce mardi de blocage, vers 14h, se tenait une réunion des représentants syndicaux. Alors pour tuer le temps, en attendant, on a suivi Nadine et Sylvia pour une visite de leur lieux de travail.

Il faut remonter quelques années auparavant. Lorsque l’abattoir de Graincourt ne s’appelait pas encore Doux, mais Picor, une marque régionale créée en 1978 passée par l’entreprise Daniel Dessaint (oui, oui, les crêpes) jusqu’en 1993 avant que Doux ne reprenne le site de Graincourt. A l’origine, l’abattoir se situait dans le centre de la petite ville, avant de se relocaliser à l’entrée du village, suite à un incendie. De fait, le site de Graincourt a toujours été identifié sous cette ancienne dénomination qui reste malgré tout une marque. Il suffit de se promener dans les rues désertes de Graincourt pour constater que ce nom reste sur tous les panneaux indicateurs, et dans toutes les mémoires. Cathy: « Quand on dit Picor, les gens connaissent instantanément. C’est moins évident avec Doux ». Mickaël confirme. « Je rencontre souvent des gens de 25 ans qui disent encore Picor, et pas Doux. C’est dingue. 25 ans! ».

LAMPES ANTI-INSECTES

Visages pendant l'assemblée générale, avant de faire la tournée de fermeture de l'abattoir.

Mais revenons avec Nadine et Sylvia. Les deux copines qui s’envoient les vannes à la figure sans temps mort. Les très grandes chaînes de production  baignent dans la froideur de novembre. Lorsque l’abattoir fonctionne, la température est comprise entre 4 et 8 degrés pour les travaux de découpe. Elle chute entre 0 et 4 pour la conservation des produits découpés. Des conditions de travail rudes, mais que les ouvriers appréciaient. Joaquim (voir notre première partie) a passé 31 ans chez Doux. Son dernier poste en date consistait à mettre les morceaux de poulet sous film plastique. « On était bien. Le boulot n’était pas trop crevant. Les salaires corrects, même si ça peut toujours être mieux ». Nadine et Sylvia, elles, cherchent les interrupteurs pour éclairer les secteurs de l’usine. Pas d’émotions particulières, pour le pathos et les larmes, on repassera. On passe dans la zone où les poulets arrivaient vivants. Des ouvriers les mettaient à la main sur des sortes de crochets avant de partir rapidement à l’abattage Nadine: « Y’en a qui seraient partis de ce poste pour rien au monde. Certains adoraient. Pourtant, c’était dur ». Mickaël tempère un peu: « Les poulets arrivaient après un transport en camion plus ou moins long, dans le froid. Ils étaient un peu KO et engourdis ». Sur les quais des expéditions, le vide. Et un gros stock de barquettes et autres boîtes en carton prêtes à être utilisées. Des couloirs baignent dans la lumière bleue des lampes anti-insectes. On arrive aux vestiaires, vides. Encore quelques noms sur les casiers, et une suite d’étiquettes « intérimaire » sur les casiers du fond. Nadine, elle, connaît bien l’intérim, avec plusieurs années passées à ce régime chez Doux. D’ailleurs elle était encore intérimaire lorsque le volailler à mis la clé sous la porte de Graincourt. Mais elle lutte avec les autres. Solidaire.

MADE IN RÉGION

Mickaël; Nadine; Bruno. Tous ex-salariés.

A 16h30 la réunion s’achève. Les délégués prennent la parole dans une AG improvisée. Organisations de manifestations avec d’autres entreprises, solidarité en cas de soucis financiers pour certains salariés, tout est passé en revue. Appeler le ministre Montebourg s’interroge un ouvrier ? Les autres ne voient pas l’intérêt. Mais pour l’heure, c’est l’avenir qui est en jeu. Un audit du potentiel du site par un cabinet nommé par le ministre délégué à l’agroalimentaire, Guillaume Garot, a été réalisé hier. Aujourd’hui, une rencontre avec un groupe de grande distribution doit avoir lieu. Fabrice Anot, délégué CGT, 48 ans pour 26 ans de volaille: « Ce groupe a ses propres bateaux de pêche et se propres abattoirs bovins. Alors pourquoi pas la volaille? » Et comme une déclinaison du « Made in France » du ministre du redressement productif, les Doux aimeraient renouer avec le « Made in Nord – Pas-de-Calais ». « C’est une piste que nous travaillons. On pourrait fournir les collectivités, écoles, etc. La question a été posée, mais certains voient mal la Région a la tête d’une entreprise ».

En attendant, tout est au point mort. Fabrice et Jean-Louis partent faire le tour et la fermeture de l’usine. « En journée, on ouvre tout, pour aérer les locaux ». Lumières éteintes, portes bloquées pour empêcher les vols. Sur des machines, l’humidité commence à se voir. Jean-Louis: « On y est attachés à cet abattoir. Même si on a le dos tordu, les pouces cassés par le travail. C’était dur mais on ne sait rien faire d’autre ».

RACLETTE DANS LA NUIT

Ces soir, ce sera raclette, tandis que Fabrice Anot, délégué CGT, essaie de voir le plus loin possible pour le site de Graincourt.

Retour au QG, vers 18h. On boit un café en attendant la fin de journée, et la relève de 22h. C’est le moment où l’on souffle, où l’on rigole entre camarades de galère embarqués dans un système économique exsangue. Des militants de Force Ouvrière passent avec des tracts. Bruno s’interroge: « Comment relancer l’économie et la consommation lorsque les gens n’ont plus que des contrats précaires? On ne peut rien acheter, faire aucun prêt, sauf à des taux monstrueux ». Christian lui est plus détendu. « J’ai 57 ans et une retraite des pompiers de Paris qui m’attend. Je ne m’inquiète pas ». Mickaël quant à lui est pessimiste. Un gars du coin de 36 ans. « J’ai arrêté l’école en 3eme. De 16 à 24 ans, je travaillais comme ouvrier agricole, et puis je suis rentré à l’abattoir. J’aimerais faire une formation dans le bâtiment, là il y a du travail. Mais il faudrait que je me remette à niveau en tout. Formation c’est différent de remise à niveau, donc je suis quasi-certain de ne pas y avoir droit. D’autres y auront droit, pas moi. Quant à aller ailleurs, je viens d’acheter une maison ici. On a nos repères, nos amis, nos passions. Pas envie de partir ».

Alors les ex-Doux restent là, en tout cas pour ce soir. C’est soirée raclette dans le QG. Un plat convivial, plus sympa avec du monde. Nadine et Sylvia sont de garde jusqu’à 22h. Sur le planning, il n’y a aucun nom sur le créneau suivant, celui de 22h-6h. Cela fait deux semaines que les grilles commencent à avoir des trous pour les gardes de nuit.

Retrouvez la première partie de ce reportage.


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