DailyUne | Réflexions Par Nicolas Montard et Marc Prévost | 02 novembre 2011
Depuis bientôt un mois, l’affaire du Carlton éclabousse les uns et les autres dans la métropole lilloise. Et même au delà. Au point que tous les médias nationaux ont désormais les yeux braqués sur Lille et ses notables. Parce que cette affaire est exceptionnelle et n’a pas fini d’avoir des répercussions. A plus d’un titre. La preuve.
Certains vous diront que cette histoire de Carlton n’est qu’une vulgaire histoire de prostitution dans un hôtel de luxe, révélée au grand jour. Comme tant d’autres pourraient sortir. Peut-être. Sauf que depuis maintenant quelques semaines (début le 5 octobre pour mémoire), l’affaire du Carlton dévoile des rebondissements insoupçonnables et insoupçonnés qui dépassent de loin la petite affaire de fesses entre notables locaux.
Il suffit d’observer les réactions de nos médias nationaux, pourtant d’habitude prompts à passer d’un sujet à un autre: dès qu’il y a le moindre embryon d’information, il n’y a plus une radio qui n’évoque pas le Carlton de Lille. Il ne se publie plus un journal sans que l’on y trouve une référence aux notables lillois. Le Carlton a depuis longtemps dépassé les frontières et les chasses gardées de France 3 Nord – Pas-de-Calais, La Voix du Nord, Nord Eclair ou 20 Minutes Lille. Si vous voulez trouver de l’info, direction également Le Point, Le Figaro, L’Express, Europe 1, les chaînes télé (et souvent en prime time !), et tutti quanti, sans parler des médias étrangers, y compris les tabloïds anglo-saxons prompts à exploiter une telle aubaine de se moquer du « Berlusconi frog »…
Et mine de rien, ça donne un sacré coup à l’image de la tranquille capitale des Flandres, bien gérée par Martine, qui dépense tant d’énergie pour la hisser au rang d’une métropole européenne. Les Ch’tis ne sont plus les Gueules Noires consanguines et au chômage ou les simplets et rigolos bouffant du Maroilles au petit-déj avec Dany Boon. Mais désormais aussi des partouzeurs branchés et friqués qui se font tourner les prostituées de luxe tout en en faisant profiter celui qui était naguère l’un des hommes les plus influents du monde, l’ex-Présidentiable DSK. Une fois cette histoire retombée, il faudra se demander quelle image fera désormais le plus de mal à la région…
DSK, justement. Parlons-en. Car c’est certainement lui qui a fait passer à l’affaire Carlton le cap de l’affaire croustillante mais locale… au stade de l' »Affaire » , croustillante et nationale (voire internationale : les Américains savent désormais presque situer Lille sur une carte…). A peine revenu des Etats-Unis, à peine dépêtré de ses ennuis français avec Tristane Banon, il revient donc sur le devant de la scène. Il y a là bien sûr le côté un peu vaudeville : un ex-futur Président, Casanova compulsif comme jamais, qui se fait prendre la main dans le sac coup sur coup et ne semble plus pouvoir se dépêtrer de sa sexualité débridée… Au point que tous ses ex-amis, qui l’excusaient encore il y a peu, ne veulent plus en entendre parler (Le Monde). Chute, résurrection et rechute (cette fois-ci définitive, on voit mal comment il pourrait s’en relever)… tout ça avec des réminiscences nordistes (ce sont nos locaux qui lui amenaient des « secrétaires » aux Etats-Unis, ce qui d’ailleurs pourrait entraîner de nouvelles conséquences judiciaires pour DSK, sur fond de traite d’êtres humains, rien que ça…)… Mais il y aussi la face plus sombre du dossier, celle qui pourrait lui donner un caractère plus explosif : cette enquête du Carlton a-t-elle été impulsée pour faire tomber l’alors Strauss-Kahn présidentiable ? La rumeur court et galope…
Ce qui n’est pas une rumeur, c’est que l’affaire du Carlton a fait la semaine dernière, sa première victime. Et pas n’importe laquelle, ce qui prouve encore l’importance de ce dossier. Jean-Claude Menault, chef de la police du Nord, n°2 après le Préfet si vous voulez, va donc pouvoir profiter des joies de la retraite (même si la « sanction » est une mutation au premier abord). Enorme déflagration dans le monde de la justice-police lilloise où le grand flic était précédé d’une carrière considérée comme exemplaire. Un autre policier haut placé, Jean-Christophe Lagarde, chef de la Sûreté départementale du Nord, est lui encore plus en mauvaise posture (mis en examen). Et de toute façon, comme une égrillarde et bavarde boîte de Pandore, le dossier est ouvert et va encore laisser échapper des noms… ne serait-ce qu’au niveau local. Notre petit landerneau de notables de cocktail et de célébrités du centre ville, qui bruisse de rumeurs, est en passe de vivre quelques nouveaux remous ces prochains jours. Avec, comme de coutume, règlements de compte et médisances à la clé.
Restera ensuite, l’affaire terminée, à compter les morts et les vivants. Et le rôle de la presse dans l’histoire. Car si l’on prend Emmanuel Riglaire, l’avocat par exemple. Le personnage avait de l’envergure, une réputation qui lui servait pour son cabinet. S’il est innocenté et blanchi (comme Lagarde ou d’autres d’ailleurs), pourra-t-il s’en relever ? On ne s’épargnera pas, une nouvelle fois, un débat sur la responsabilité des médias dans cette satanée présomption d’innocence qui, dès que l’on balance le nom, devient présomption de culpabilité. Que l’affaire Alègre à Toulouse, certes encore différente, paraît proche et loin à la fois…
Il n’y a pas que les hommes dans cette histoire. Les métastases de l’affaire pourraient également atteindre le monde des affaires local, celui du BTP et des projets d’intérêt public pilotés par les collectivités territoriales. Rappelons qu’Eiffage – l’un des protagonistes mis en examen est cadre du groupe de BTP dont il dirige une filiale dans la région – est le constructeur du grand stade de la métropole lilloise, pour ne citer que ce programme (qui n’avait pas besoin de ça…). Ulcéré après un article du site Mediapart sur « les mystères de l’attribution du grand stade à Eiffage » et le « revirement de dernière minute » des élus de Lille Métropole sur cette même attribution, l’état-major du groupe a fait savoir lundi par son avocat, Me Thierry Dalmasso, que : « Le groupe Eiffage a gagné en toute transparence ce marché car il avait tout simplement le meilleur projet. Eiffage considère comme scandaleuses toutes ces calomnies et se réserve toutes voies de droit pour faire cesser ces atteintes à son image et à celle de ses salariés ». L’invention au grand jour de pratiques ainsi stigmatisées risque en tout cas de jeter une drôle d’ombre sur ce pan de l’économie régionale et de prêter le flanc à toutes les interprétations et amalgames, notamment après les déclarations de David Roquet face aux enquêteurs (furieux d’être lâché par sa direction, il aurait balancé sur les pratiques du groupe pour s’attirer les faveurs de quelques politiques). On a déjà évoqué le rôle – le décor, plutôt – des cercles maçonniques dans ce type d’affaires, quasi-consubstantiels au secteur du BTP, sinon à celui de la politique locale. Là aussi, l’enquête risque de prospérer au delà de toute espérance avec un système mis à jour…
Dernière conséquence possible, ce qui témoigne encore de l’importance de l’affaire du Carlton : l’utilisation politique du dossier, du contexte plutôt. Ce dernier est idéal pour servir de décor à la réactivation du projet Bachelot remâché sur la pénalisation des clients des prostituées, un thème à forte consonance morale et apprécié des stratèges électoraux. Et qui offre l’avantage de brouiller le classique clivage gauche-droite : beaucoup à gauche – les féministes, les défenseurs de la famille- ne sont pas contre une telle mesure. Sarkozy, qui porte haut depuis peu l’étendard du pater familias protecteur, pourrait ainsi être tenté de profiter d’une telle aubaine. Tandis qu’on ne devrait plus attendre longtemps l’irruption des associations de défense féministes ou des droits des prostituées-victimes, des acteurs qui savent se faire entendre. Dans ce genre d’histoire, monter le son devant l’opinion participe aussi d’une tactique de prétoire ou de caisse de résonance pour la bonne cause. L’affaire du Carlton pourrait vite devenir un phénomène de société dans lequel chacune et chacun ont leur idée et dont on débattrait en famille autour du gigot dominical ou sur le zinc entre potes à l’heure de pastis…
Pour tout ça – et bien d’autres choses (le dépaysement du dossier par exemple dont on devrait avoir des nouvelles ces jours-ci) – l’affaire du Carlton est d’une extrême importance. Car comme on l’écrivait pour l’affaire DSK il y a quelques mois avec le Sofitel, notre feuilleton lillois commencé il y a un mois va aussi entrer dans les livres d’histoire régionaux. Et au-delà…
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Article intéressant : des faits et du questionnement.
Ca fait du bien !
Rapprocher Allègre de Riglaire est un poil audacieux… Concernant Riglaire, l’attitude de la Voix du Nord dans cette histoire me parait plutôt positive. Si elle n’avait rien dit, on lui aurait reproché de couvrir son avocat. Reste à savoir si l’info aurait été traitée de la même façon si 20 minutes n’avait pas sorti le nom de Riglaire avant que La Voix ne le fasse. Bon exemple des bienfaits (ou des méfaits si Riglaire s’avère être blanc comme neige) de la concurrence dans les médias.
En revanche, j’ai trouvé les blogueurs du coin, si prompts à dégainer aux moindres pets de travers d’Aubry et consorts bien timides sur le sujet…
@Sacha. On ne rapproche pas Riglaire d’Allègre, on rapproche la question de la présomption d’innocence lilloise aux événements qui ont pu se passer à Toulouse (donc, on ne parle pas de faits). Mais vous avez raison de le signaler, cela devait être mal exprimé.
Pour le reste, tout à fait d’accord avec vous : sauf que La VDN n’a pas précisé que Riglaire était également son avocat. Certains vous répondront qu’on ne va pas citer toutes les entreprises dont il est l’avocat, mais bon, ça ne faisait pas de mal de le préciser…
Pour les blogueurs, vous avez raison : on les a connu moins timides !