DailyUne | Réalités Par Nicolas Montard | 08 décembre 2009
Suite de notre grand format. On reste au large pour la deuxième partie de notre escapade avec les pêcheurs du Nicolas Jeremy, chalutier étaplois. On les avait quitté juste avant la première pêche de la marée (retrouvez notre précédent article). Désormais, Nicolas, Vincent, Karl et les autres s’attaquent aux choses sérieuses. Bottes et vêtements imperméables de rigueur pour pêcher et trier le poisson.
Portraits d’équipage
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En haut, de gauche à droite : Bruno, Eric, Karl et Nicolas. En bas, de gauche à droite : Freddy, Jean-Noël, VincentChose promise, chose due. Un peu avant 8h, le réveil est rude. Pas de radio-réveil ici. Mais la voix de Bruno qui crachote par le haut-parleur. Un sifflement et « debout là-dedans ». Deux fois en quelques minutes. Et tout le monde est debout et enfile sa tenue de combat. Jaune pour la plupart des pêcheurs, imperméable, bottes obligatoires. On suit le mouvement. Tous se dirigent vers l’entrepont où a lieu la pêche. Là, une benne s’apprête à recevoir sa première cargaison. Peu de bâillements, Freddy, Karl, Nicolas, Vincent, Eric et Jean-Noël sont habitués à ce rythme de croisière. Pas trop de mal à retrouver la vie civile quand ils rentrent en fin de semaine ? « Non, non, ça va. C’est une habitude à prendre. »
L’habitude la plus urgente pour le moment, c’est de remonter le chalut. En haut, au niveau de la timonerie, Bruno, en plus de garder le cap dans l’un des détroits les plus fréquentés de la planète, manipule de nouveaux boutons sur son tableau de bord à faire pâlir les fans de simulateurs vidéos. Le système de poulie se met en marche. Le chalut sort de l’eau. Se place avec l’aide des pêcheurs au-dessus de la benne. L’ensemble dégouline d’eau. Pas grave pour les pêcheurs couverts de la tête au pied. C’est le moment de lâcher le poisson. Des milliers en fait qui tombent dans la benne et s’engouffrent peu à peu, avec la pente, vers le poste de tri. Drôle de spectacle pour le néophyte que ces poissons qui frétillent encore (ils peuvent vivre une dizaine de minutes hors de l’eau). Indifférence pour les habitués dont les premières pêches remontent souvent à l’adolescence quand ils n’ont pas déjà vu ce spectacle à l’âge où l’on apprend à lire.
Le filet vérifié et remis dans l’eau, c’est l’heure de passer au tri. Etape indispensable où chacun des poissons devra trouver sa place. Car il est hors de question de tout livrer à Boulogne-sur-Mer en vrac. Derrière le tapis roulant pour le tri, on retrouve Eric, Karl, Freddy et Vincent. Devant eux, Jean-Noël, chargé de sceller et étiquetter les bacs. A côté, Nicolas qui, en plus de trier, s’occupe de déloger les indélicats qui souhaiteraient rester dans la benne. Et la mécanique est bien huilée. Les gestes sont répétitifs : saisir les poissons qui passent sur le rail, les envoyer dans la bonne cagette. Panier. Panier. Panier. Pas d’erreur. « Oh, si, se marre Nicolas. Parfois, on [singlepic id=820 w=320 h=240 float=left]rate ! » Avant de passer les poissons au jet d’eau pour un premier nettoyage et de sceller les caisses, Jean-Noël vérifie. Et remet les intrus à leur place. Pendant que sur le rail, les pêcheurs laissent passer une espèce : le cabillaud bien sûr. Mort, il sera rejeté à la mer puisqu’il faut respecter les quotas. « Etablis par des technocrates qui ne comprennent rien à la pêche, rient jaune de concert les pêcheurs. Faudrait peut-être mettre une pancarte sur le filet : « Interdit aux cabillauds ». Comme ça, ils seraient tous contents… »
Le tri est fini. Près d’une tonne ce qui sera la moyenne ce jour par pêche. « C’est la meilleure période de la saison, en général c’est plutôt 400 kilos ». C’est l’heure de vider les plus gros poissons. Pas d’hésitation là aussi, nos pêcheurs ont l’habitude. Pendant ce temps, d’autres nettoient l’espace de travail avec un jet d’eau. Tout comme le sol où ont échoué quelques poissons. Puis, les pêcheurs laissent tomber leurs vêtements imperméables. Certains vont se recoucher, d’autres discutent dans la cuisine ou la cabine de pilotage. « Il n’y a pas grand chose à faire entre les pêches », nous confie Eric. Qui ont lieu en moyenne toutes les trois heures. Alors, saisissant quelques blagues au passage sur la gent féminine, on en profite pour leur parler justement des femmes. De leurs femmes. Qui restent à terre, car à 99%, cette profession est l’apanage des hommes : « Il y a très peu de femmes sur les bateaux. Mais elles ont un rôle très important. Ce sont elles qui gèrent tout sur terre : les enfants, la maison… » Comprennent-elles ? Bien obligé. D’ailleurs, souvent, elles ont aussi eu de la famille partant en mer. Ce qui aide à faire passer la pilule.
En haut, Bruno est toujours aux commandes. Radar, sonar, tonnage du chalut, radios, écrans météo, etc., tout l’attirail technologique pour la pêche que le patron a vu arriver au fil des années. Bien loin le temps du bateau en bois de son père. On discute avec lui des Coopératives maritimes étaploises (CME) : dans cette organisation, on trouve bien sûr des bateaux. De moins en moins nombreux chaque année car il est de plus en plus difficile de trouver les financements nécessaires pour s’installer à son compte (on est passé de 80 à 50 embarcations en dix ans) ; mais aussi d’autres activités, comme toute la partie administrative, trois restaurants, douze poissonneries, un service de mareyage, un autre de surgélation. Mais aussi des difficultés financières que Bruno, qui assure la direction des CME par intérim jusqu’à la fin de l’année, ne cherche pas à cacher : « L’an prochain, il faut qu’on réussisse à économiser 400 000 euros, voir 500 000 euros. La banque nous aide, mais c’est comme le fusil à un coup. On n’aura pas deux chances. »
Avant de redescendre d’un étage, on jette un coup d’oeil aux alentours. Plusieurs bateaux pêchent dans la zone. « On ne se marche pas sur les pieds, ça va ! » A droite, les côtes françaises et Calais se dessinent. A gauche, on aperçoit l’Angleterre. Et ici, nous sommes bien dans les eaux françaises. Où certains étrangers, n’ayant pas les mêmes quotas, viennent pêcher le cabillaud. « Et pendant ce temps, tu rejettes ton salaire dans l’eau », râle Nicolas. « Rageant », peste Jean-Noël qui regarde un bateau hollandais à quelques centaines de mètres en renfilant déjà sa combinaison à l’instar de ses collègues pour la deuxième pêche de la journée. Tous sauf un. Freddy.
On se met à sa recherche. L’homme est en fait dans la cuisine. « Cette semaine, c’est mon tour, explique-t-il. On se relaie chaque lundi. » Au menu ce midi, du poulet et des frites. Ration commune à la différence du soir où chacun se fait réchauffer ce qu’il a amené. Pas de poisson au menu ? « Une fois par semaine, répond le cuistot de la semaine. Tiens, tu peux mettre un peu d’eau sur le poulet ? Sinon, pas le mal de mer ? » Pas encore… « Non, parce que moi, je l’ai eu pendant deux ans et demi. » Et ni les patchs (que votre serviteur s’était soigneusement collé derrière l’oreille), ni les médicaments ne lui faisaient effet. « J’étais charcutier-traiteur. Puis, il y a eu une période de chômage et on m’a conseillé la pêche. J’ai vraiment eu du mal pendant deux ans. Maintenant, ça va mieux, mais quand il y a du gros temps, ce n’est pas forcément terrible. » L’heure du repas du midi a sonné. Deux services. Le temps d’échanger quelques bons mots et de taquiner Jean-Noël, futur marié d’avril. En attendant la prochaine pêche.
Le récit de la pêche en images
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Retrouvez l’intégralité de ce grand format :
Mer patrie : vingt-quatre heures en mer avec les pêcheurs d’Etaples (1/3)
Mer patrie : vingt-quatre heures en mer avec les pêcheurs d’Etaples (2/3)
Mer patrie : vingt-quatre heures en mer avec les pêcheurs d’Etaples (3/3)
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