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Raconter la cité en film ? Oui, si ça brûle !

DailyUne | Petite histoire Par | 20 décembre 2009


Allez, on fait le pari. Un film sur la banlieue, ça évoque quoi pour vous ? Pèle-mêle, voitures qui crament, jeunes qui dealent, montée de l’intégrisme, et j’en passe. Le cinéma aime les clichés. C’est vendeur. Délaissant quelque peu ces stéréotypes, Abdé Kéta (30 ans) désire réaliser un film sur sa cité du Blanc-Riez à Wattignies (Lille). Une chronique sociale qui, sans gommer les poncifs, les replace en toile de fond. Oui, mais voilà, un film sur la cité avec une happy end, c’est pas sérieux, ça ne se fait pas…  Alors, privé de financements, ce jeune Lillois a mis son scénario en bouquin et en slam pour faire parler de lui.

[singlepic id=862 w=320 h=240 float=left]Deux ans qu’il trimballe son script sous le bras. Qu’il frappe à toutes les portes en quête de subventions. Deux ans qu’il essuie les refus. Pourtant, le film, Le Jardin des proses, n’a rien d’une superproduction: 80 000 euros. Minuscule budget pour un long métrage. Lorsqu’Abdé Kéta s’adresse au Centre national cinématographique? On le renvoie vers le CRRAV (centre régional d’action audio-visuelle), un organisme enfanté par le Conseil régional qui le finance en partie. La structure est censée promouvoir la production cinématographique et audiovisuelle sous nos latitudes septentrionales. Parfait.  Justement, Abdé Kéta est nordiste. Mieux encore, il veut tourner son film dans son quartier du Blanc-Riez à Wattignies avec des acteurs du cru qu’il initie actuellement au septième art au travers d’ateliers d’expression. Si on osait, on parlerait même d’aspect social du projet. Passons. Au CRRAV donc, nouveau refus. Abdé résume ses pérégrinations: « Quand je m’adresse aux Parisiens, ils me répondent qu’on a le CRRAV dans la région. C’est un des plus gros investisseurs en province (environ 5 millions d’euros de budget en 2009 dont la moitié investie dans la production de films, documentaires, fictions, ndlr). En fait, ce sont des productions parisiennes qui viennent tourner des scènes dans le Nord – Pas-de-Calais pour toucher des fonds. »

Vous me direz, Le Jardin des proses présente sans doute davantage de risques qu’un Bienvenue chez les Ch’tis pour lequel le CRRAV avait mis la main à la poche. Et, soyons honnête, il y a même peu de chances de revoir la subvention. Pas de nom, pas de parrain prestigieux, pas de casting alléchant (80 000 euros de budget, on le rappelle). Abdé Kéta est tout sauf bankable, à dix mille lieues de cet « establishment » comme il dit. Quelle idée aussi de se lancer dans le cinéma quand on est issu d’un quartier dit défavorisé ! Justement: « Ce qui m’a donné envie, c’est ceux qui font sans cesse des films dans les quartiers de manière négative. Je me suis dit que quelqu’un devait monter au front et proposer autre chose. » Du coup, l’ex animateur de quartier est passé derrière la caméra. Son premier long métrage, A ta rencontre, présenté en 2007 au festival du film indépendant de Lille, ne recevra aucun prix, mais lui vaudra tout de même les encouragements de Richard Borhinger. Faute d’avoir trouvé un distributeur, le film peut aujourd’hui être visionné librement sur Dailymotion.

« Même dans une fiction, le gars de banlieue n’a pas le droit de s’en sortir »

Pourquoi personne ne veut de ce deuxième film ? Abdé Kéta a son idée là-dessus. « Comme ça se passe dans les quartiers, il faut absolument que des voitures brûlent, qu’on voit des jeunes femmes portant le foulard. C’est très dur de montrer autre chose que ce que les gens attendent. » Son scénario n’est pas suffisamment stéréotypé. Pas question pour lui de gommer la délinquance, la montée de l’intégrisme ou l’anti-Français dans les banlieues. Encore moins de le nier. Non, lui, désire simplement glisser tout cela en toile de fond pour remettre au premier plan les problèmes socio-économiques (chômage, logement…) dont découlent souvent les autres maux. Pour faire court, dans son Jardin des proses, Abdé raconte ainsi la galère d’un jeune homme (Akha) qui tente de s’en sortir et tombe amoureux de son assistante sociale, la seule femme « qui lui sourit ». Une histoire sans prétention et volontiers optimiste. Oui, mais une romance et une happy end dans une banlieue, ça ne colle pas aux clichés et aux attentes du public. « On m’a dit que c’était trop positif parce que le héros s’en sort. Même dans une fiction, le gars de banlieue n’a pas le droit de s’en sortir ! »

Comme Abdé croit en son projet, comme il a lui aussi envie de s’en sortir, alors il s’accroche. En octobre, il a mis son scénario en slam afin de le publier. Souci, là aussi, aucun éditeur n’a voulu du bouquin. Sur ses modestes économies, il a donc créé sa propre maison d’édition (Au fil de l’eau) et auto-financé l’ouvrage. Notre homme sait très bien que les modestes ventes du livre ne payeront pas son film, mais au moins il espère qu’on communiquera un peu autour de cette initiative singulière. « Ce livre, c’est une carte de visite qui m’a coûté beaucoup de temps et beaucoup d’argent, plaisante-t-il. C’est une manière de présenter le film. » Et peut-être de séduire, enfin, un financeur pour porter son scénario à l’écran.

Le site du Jardin des proses

Le Jardin des proses, d’Abdé Kéta, éditions Au fil de l’eau, 2009, 200 pages, 20 euros (en vente 15 euros sur son site).

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