La disparition de Younes : tout a été dit et sans doute plus qu’il n’en fallait, au regard de l’incessant flot d’infos. Au-delà du fait divers tragique, nous nous sommes penchés sur le traitement médiatique au cours des dernières semaines. L’idée n’est pas d’analyser le travail de nos confrères (nous laissons ce soin à la sociologie des médias) et encore moins de porter un jugement : simplement de partager quelques éléments de réflexion. Sa couverture, sa densité, ses incongruités, ses dérapages, aussi.
Depuis trois semaines, et en particulier ces derniers jours, on est d’abord frappé par le flot d’infos. Ininterrompu. Faites l’expérience : entrez « Younes » dans Google actu et observez. Des pages et des pages. Des centaines et des centaines de papiers avec des pointes à 200 articles, parfois, sur une seule journée. Et sans compter les blogs en tout genre qui, même s’ils se contentent de reproduire partiellement le contenu des sites de presse, sont aujourd’hui devenus sources d’info. Bien sûr, cette profusion n’apparaît qu’à l’internaute rompu à l’utilisation des agrégateurs. Si l’emballement médiatique est favorisé par la nature du fait divers (la disparition d’un enfant de quatre ans), la densité s’explique aussi sans doute par le caractère transfrontalier: cette disparition aurait-elle eu le même retentissement en France si elle était survenues un peu plus à l’intérieur des terres belges ? Autre nouveauté qui n’échappe plus à l’internaute, l’abondance d’actu n’est pas synonyme de diversité : en y regardant de plus près, on trouve des contenus souvent identiques. Logique. AFP, Belga et autres agences de presse sont faites pour ça. Naturellement, plus un titre de presse est proche géographiquement, plus il se doit de renforcer sa couverture. Samedi, on relevait ainsi plus d’une trentaine d’articles ou de brèves pour l’édition électronique de La Voix du Nord depuis le 27 octobre.
Devoir d’informer au quotidien. D’autant que la soif d’infos est forte sur cette disparition. Petit coup de Google Trends, le précieux indicateur de la popularité des recherches opérées sur Google. La requête « Younes » est actuellement l’une des plus actives en Belgique en matière de recherches d’actus (cinquième position, dimanche soir. Pour le Nord – Pas-de-Calais, la même requête ne figure pas parmi les dix plus demandées). Depuis fin octobre, on s’évertue donc à livrer sa ration quotidienne au lecteur-spectateur en mal d’infos. Même le dimanche, lorsqu’on sait qu’il n’y a rien à attendre des sources officielles : hier, tour à tour, les médias reprenaient les déclarations du père de Younes (sur RTL-TVI), où celui-ci clame son innocence. Parfois encore, on informe même si il n’y a rien à dire. Une absence de nouvelles infos qui transparaît dès le titre. Exemples puisés dans la revue de presse de vendredi : « Younes : le parquet n’a rien à communiquer », « Aucun commentaire à propos du petit Younes ». Rien à dire, dixit le titre, mais tout de même un papier derrière. Au cours de la semaine précédente, on avait aussi relevé des « Younes : pas d’avancée », « Younes reste introuvable », etc. Ce sont les exigences d’une actu feuilleton devant être alimentée au quotidien, coûte que coûte et dans les plus brefs délais.
L’exigence de produire une information rapidement explique sans doute le dérapage des premiers jours. Le 27 octobre, le lendemain de la disparition de Younes, l’AFP balançait une dépêche intitulée « Le petit Younes retrouvé mort dans le canal d’Armentières » (voir la dépêche, lire notre article). Tombée à l’heure du midi, l’info était aussitôt reprise par bon nombre de médias pressés de sortir l’info avant les différents 13h. L’AFP rectifiera quarante minutes plus tard. Mais TF1, France 2 (qui a toutefois pris la précaution d’employer le conditionnel), France 3, M6 avaient déjà balancé l’info. Si des sites d’information se sont empressés d’effacer la dépêche originelle, des traces demeurent (voir par exemple le démenti de Paris Match). On aura beau expliquer que l’erreur vient de l’AFP, le lecteur, lui, voit une erreur de son média. Cette bévue vaudra d’ailleurs une légère altercation entre journalistes belges et français, mercredi dernier : les premiers reprochant aux seconds d’être allés trop vite en besogne (Belga a par ailleurs demandé réparation auprès de l’AFP).
On y verra une dérive du net, de l’info en continu et de la nécessité de produire du contenu toujours plus rapidement. L’univers de la presse demeure hautement concurrentiel, et si on ne peut pas balancer l’info avant les autres, du moins s’efforce-t-on de ne pas arriver plus tard que les autres. Malheureusement, cette fausse annonce en rappelle d’autres sur des sujets similaires. Pas besoin de remonter très loin. Autre disparition d’enfant, celle de Typhaine, en juin du côté de Maubeuge (non retrouvée à ce jour). Fin juin, France 3 annonçait dans son 19/20 la mort par noyade de l’enfant (lire notre article). Tuyau percé qui sera démenti dans l’édition nationale quelques minutes plus tard. France3 reconnaîtra avoir été berné par un imposteur usurpant l’identité du journaliste sur place. Dernier exemple en guise d’illustration: celui-ci concerne la disparition d’un gamin dans la Drôme. Annoncé mort en 2008 au 20 heures de TF1 alors que son homologue de France 2 indique simultanément qu’il a été retrouvé (sans plus d’indication). Dictature de l’instant, et obligation de ne pas se mettre en retard face à la concurrence. Rien de nouveau. Si internet renforce la nécessité de produire une info encore plus rapide, le net ne peut cependant être désigné comme seul responsable. Dans les annales de la presse, il demeure cette histoire vieille de plus de 80 ans. En 1927, feu le journal La Presse annonçait que Nungesser et Coli à bord de leur Oiseau blanc venaient de franchir l’Atlantique avant même Lindbergh… « Nungesser et Coli ont réussi » titrait le quotidien en Une. On devait apprendre plus tard qu’ils n’étaient jamais arrivés à destination.
Naturellement, lorsque Younes a bien été découvert en début de semaine passée, on a senti les médias un peu échaudés. La fausse annonce avait glissé le doute. On se met à la place du rédac’ chef : prière de sortir le conditionnel. Ce conditionnel, gilet pare-balles du journaliste, qui ne change toutefois pas grand chose pour le lecteur lambda. On a même relevé un excès de précaution chez certains : ainsi du côté de France info, on trouve du « probablement » dans le titre suivi de la mention « officiel » entre parenthèses. Singulier. Conditionnel pour une information fort probable, indicatif pour une info avérée. Selon le mode, l’info n’a pas la même portée. Ce dérapage a apporté une certaine confusion et quelques discordances. Toujours dans la presse de ces derniers jours, ces deux papiers balancés sur le net et ces deux titres relevés à seulement quelques minutes d’intervalle : « Younes ne serait pas mort noyé » et « Younes n’est pas mort noyé ». L’un hypthétique, l’autre affrimatif.
Certains seraient-ils mieux informés que d’autres ? Peut-être. Vendredi, les titres du groupe Sud Presse (Belgique) dévoilaient les résultats de l’autopsie et annonçaient la présence de coups sur le corps de l’enfant. Un scoop. Après avoir cherché à vérifier en vain, les autres journaux ont donc repris l’info au conditionnel. S’il est vraisemblable que Sud Presse a bénéficié ici d’une indiscrétion, dans ce genre d’affaire, l’espoir de décrocher un scoop est assez maigre. Sources verrouillées, personne ne prend le risque de communiquer. Parapluie grand ouvert : on renvoie sans cesse sur son supérieur jusqu’au procureur, lequel se borne souvent à un communiqué officiel.
D’ailleurs, hormis cet exemple de vendredi, la presse dans son ensemble paraît avoir disposé des mêmes infos depuis trois semaines. Plutôt problématique à l’heure où la visibilité offerte par internet renforce l’obligation de différencier son contenu. Avec les mêmes infos, on peut toutefois jouer sur l’angle. Mercredi, l’info du jour était : « Younes retrouvé mort ? » Titre repris par la plupart des canards à quelques variantes sémantiques près. Certains vont cependant plus loin dans leurs titres: « Seize jours pour retrouver Younes », ou « Younes retrouvé : accident ou crime ? »… Quitte à devancer l’actu avec les risques que cela comporte.
A la différence des titres nationaux pouvant aisément se satisfaire des flux des agences de presse, les canards locaux sont dans l’obligation de fournir davantage de contenu à leurs lecteurs. Avec une différence de traitement de part et d’autre de la frontière. Cette disparition semble mettre en lumière une différence de culture entre les presses belge et française en dépit de leur proximité. Depuis trois semaines, la presse d’outre Quiévrain paraît jouer davantage encore sur le registre de l’émotif. Point commun cependant de part et d’autre de la frontière, les titres locaux ont veillé à dépasser le cadre du fait divers. Ramener du vécu. De la tranche de vie. Des larmes. Du micro-trott’, aussi, avec l’avis de Monsieur-Tout-le-Monde (car Monsieur-Tout-le-Monde a toujours un avis dans ce genre d’affaire) qui ne vaut souvent guère plus que la conversation au coin du bar.
Dans la presse de ces derniers jours, on a relevé ainsi plusieurs écarts. Des évocations tantôt sur l’alcool violent du père, tantôt sur sa gentillesse. Des personnes s’étonnant (et condamnant) du fait qu’un gamin de 4 ans ait pu sortir en pleine nuit. Ou encore cet article annonçant les intentions de la mère de divorcer… Liste loin d’être exhaustive. Ces nombreuses interviews de lambdas ont d’ailleurs motivé un communiqué de Child Focus, mercredi. L’association belge demandait de respecter la présomption d’innocence. A travers ces micro-trottoirs, l’organisation déplorait « toutes les spéculations possibles sur l’implication des parents dans le décès de Younes ». Sans doute le danger de vouloir à tout prix dire quelque chose, même lorsqu’on a rien à dire.
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