De Gaulle aurait aimé écrire comme Malraux, Giscard rêvait d’Académie depuis toujours, Chirac publie aujourd’hui ses mémoires. La consécration suprême pour l’homme politique demeure la reconnaissance de la plume. Un vrai anoblissement. Et comme c’est la grande semaine des prix (Goncourt, Médicis, Renaudot…), nous sommes allés fureter du côté des politiques régionaux. Eux aussi s’essayent avec plus ou moins de succès à l’écriture. Quelques ouvrages commis par les élus du cru, souvent oubliés, et franchement, on se demande bien pourquoi…
Si l’élu aime être publié, il affiche aussi de nettes préférences. Sensé avoir les pieds ancrés solidement dans la réalité, le genre romanesque lui semble interdit. Pas sérieux. Imaginez un politique versant dans le roman de gare ? Ou, pire, dans l’idylle arlequinesque (avec une princesse par exemple) ? Non, notre homme politique a un rang à tenir. Au sommet de cette hiérarchie littéraire politique, on trouve donc les mémoires. Genre dévolu aux élites de la République sous peine de paraître prétentieux. L’exercice hagiographique implique forcément un destin national, au plus près du sommet de l’Etat et quelques solides anecdotes (confidences de Présidents par exemple). Ça élimine pas mal de candidats. Aubry, Borloo, Lang ? Plus tard, peut-être. Car la publication des mémoires a aussi une valeur testamentaire et annonce à coup sûr un retrait de la vie politique. Nous reste Mauroy, donc. Avec ses Mémoires (sous titre : Vous mettrez du bleu dans le ciel, Plon, 2002), un sous-titre directement soufflé par François Mitterrand.
Dans un genre voisin, mais plus accessible au commun des politiques, le récit plus ou moins biographique. Dernier sorti en date, Un Marx et ça repart d’Alain Bocquet (avec Delphine Watiez, Cherche Midi éditeur, 2009). Lui au moins a eu l’honnêteté d’associer son « nègre », diront les mauvaises langues. Cinq cents pages, quarante-cinq ans de militantisme communiste, vous me direz que ça peut très bien faire figure de mémoires. A moins que ce ne soit pour se forger une stature de présidentiable pour 2012 côté PCF ? Qui sait… Car à la différence des mémoires tournées vers le passé, l’autobio, elle, lorgne souvent sur l’avenir. Et annonce même parfois une tentative de rebond. A l’instar de Jacques Mellick et de son Excès de vitesse (Calmann-Levy, 2000). L’ex véloce maire de Béthune jouissait alors de temps libre (cinq ans d’inéligibilité) pour revenir sur l’affaire OM-Valenciennes et se remettre en selle. Dans le même registre, on trouve Marie-Noëlle Lienemann et sa Part d’inventaire (Ramsay, 2002) judicieusement paru après la débâcle de Jospin le 21 avril 2002. Gros succès avec 60 000 exemplaires vendus pour l’ex ministre du Logement, plutôt prolifique d’ailleurs, avec une demi-douzaine de bouquins à son casier depuis 2000.
Pour l’homme politique en quête de lettres de noblesses, la bio historique est souvent une solution prisée. Honorable. Là, pas besoin d’une grande notoriété nationale. Dans le terroir, on trouve toujours un personnage historique à exhumer. Le nom d’élus est d’ailleurs souvent attaché à des études locales, biographies ou monographies. Curieusement, plus on gravit les échelons de la hiérarchie politique, plus le sujet du bouquin a tendance à s’élever lui aussi. Tandis que Gérard Caudron se borne à préfacer une Histoire de Villeneuve d’Ascq, Michel Delebarre se consacre à Jean Bart (Jean Bart, La légende du Corsaire, Michel Lafon, 2002) et Jack Lang jette son dévolu sur un roi mécène (François 1er ou le rêve italien, Perrin, 1999). L’ex ministre de la Culture récidivera plus tard avec un opus sur Mandela (Mandela, leçon de vie pour l’avenir, librairie académique Perrin, 2008). Tout comme Bayrou a écrit sur Henri IV, de Villepin sur Napoléon 1er, etc. Bref, si on aspire à un grand destin national, on choisit de préférence un roi ou un empereur. Qui sait, le prestige du sujet rejaillira peut-être sur l’auteur. Bizarrement, dans ce genre bio plébiscité par la classe politique, aucun n’a songé à écrire sur Landru ou Gilles de Rais.
Mais le corpus des oeuvres de nos politiques est à classer au rayon essais – coups de gueule. Ou réclame si vous avez mauvais esprit. On vous épargnera les nombreux rapports publiés à la Documentation française, pas vraiment destinés au commun des mortels, il y a déjà tant à lire avec les livres grand public où l’élu-auteur nous invite à partager sa réflexion personnelle sur tel ou tel sujet. Grand champion toutes catégories au book office régional ? Jack Lang. Le député du Pas-de-Calais est un vrai érudit dissertant aussi bien sur le droit des homosexuels, que sur l’école (Une école élitaire pour chacun, Gallimard, 2003), en passant par une réflexion sur notre société actuelle (Changer, Plon, 2005), le régime politique (Un nouveau régime politique pour la France, Odile Jacob, 2004), l’immigration, le chômage (Vaincre le chômage, tout simplement) et j’en passe… Intarissable. Jamais en mal de sujets et toujours une (bonne) solution à la clé. Au rayon réclame et dans la biblio régionale, on retrouve Marie-Noëlle Lienemann (L’air du temps ou le temps de la gauche, Pharos, 2006 ; La route est longue mais la pente est raide…), Martine Aubry forcément, (Petit dictionnaire pour lutter contre l’extrême droite, avec Olivier Duhamel, le Seuil, 1995 ; le Choix d’agir, Albin Michel, 1995 ; C’est quoi la solidarité ?, Albin Michel, 2000 ; Et si on se retrouvait, avec Stéphane Paoli et Jean Viard, Editions de l’Aube, 2008..), Jean-Louis Borloo (Un homme en colère Ramsay, 2002 ; L’architecte et l’horloger, avec Gérard Leclerc, Moment, 2007), Michel Delebarre (avec Pierre-Yves Le Priol, Le temps des villes, Le Seuil 1993)…
En somme qui n’a pas eu un jour un portefeuille de ministre est privé de disserte. On relève cependant quelques exceptions : Léonce Déprez (De A à Z, parlons vie, éditions Vertiges, 1985 ; Temps libre, Editions Flandre-Artois-Côte d’Opale, 1981). Il est vrai que posséder sa propre imprimerie peut alors encourager à se saisir de la plume et évite le rejet de la part de l’éditeur. On peut citer également, l’ex maire de Roubaix, André Diligent (Un cheminot sans importance, France empire, 1975 ; La télévision, progrès ou décadence ?, Hachette, 1965). Et on pourrait ainsi remonter jusqu’aux Emile Basly, Roger Salengro ou Guy Mollet. Nos hommes politiques ne sont décidément jamais en mal d’inspiration. Pour prendre la plume.
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J’avais lu : ces politiques qui COMMENTENT des livres.. et j’avais pris ça pour moi…
Désolé, il s’agit bien des politiques qui commettent des livres. Mais si certains vous sont familiers, rien ne vous empêche de les commenter… Question politiques se livrant au commentaire de bouquins, ceux-ci me semblent assez rares. En la matière, votre blog que j’ai découvert au passage, tranche plutôt (ça n’a rien de péjoratif) avec les traditionnels blogs d’élus.
Une personnalité politique peut-elle se conformer à l’éthique de communication requise par le roman moderne ? Sous cette forme interrogative, c’est ainsi que je lis votre billet. Il faut de l’universalité dans le roman. L’éthique universelle de communication, chère à Jürgen Habermas, les politiques devraient s’y soumettre avant de songer à écrire. Mais leurs préoccupations électorales les absorbent
. Les prix décernés actuellement, le sont souvent pour des œuvres situées, au sens où l’entendait Max Jacob, qu’il s’agisse de l’énigme du retour de Dany Laferrière, ou du beau livre de Marie NDiaye, injustement prise à parti par un député français. Les trois femmes puissantes de Marie m’enchantent et, j’invite ce député à vivre un peu avec Nora, Fanta et Khady Demba. Depuis plusieurs semaines, leur belle histoire ne me quitte pas. Il faut des femmes comme elles pour nous libérer, nous, les hommes. C’est ce que je ressens dans le livre. Echo de ma propre impuissance ou contresens de ma part ? A voir. En tout cas, je n’ai retrouvé nulle part cette analyse personnelle. Et si j’avais raison, après avoir eu si souvent tort ?
Pour moi, les Trois Femmes de Marie NDIAYE ne sont pas seulement puissantes, elles sont aussi salvatrices. Le livre pourrait s’intituler « Trois Hommes Sauvés », ou encore « Les Trois Donneuses de Dignité ». La dignité puissante de Nora, Fanta et Khaty, libère les trois prédateurs de leur noirceur. Un bref et habile contrepoint de Marie Ndiaye, à la fin l’histoire dépeint ses hommes avec un idéal du moi, reconstitué par la transfusion de dignité des trois donneuses.
Norah, perchée dans L’arbre-refuge de son père pour « établir une concorde définitive (page 94).»
Fanta, a débarrassé son mari de l’emprise d’une mère castratrice, elle peut arborer enfin « un calme et large sourire (page 245). »
L’âme de Khady, martyre des camps de migrants, vit dans le corps de Lamine, l’amoureux qui l’a volée et abandonnée. Le devenir de Lamine conclut le livre avec ces mots : « et alors il parlait à la fille et doucement lui racontait ce qu’il advenait de lui, il lui rendait grâce, un oiseau disparaissait au loin. »
Nos députés et hommes politiques devraient lire ces pages avant d’écrire .