L'autre information du Nord – Pas-de-Calais

« Ce n’est pas nul de mettre la photo d’une gamine décédée dans le journal »

DailyUne | Réflexions Par | 18 novembre 2009


Fait-diversier. Journaliste spécialisé en faits-divers. Après notre article publié ce lundi sur le traitement médiatique de l’affaire Younes (lire ici), nous avons souhaité laisser la parole à l’un des journalistes régionaux qui traite ce type d’actualités. Bruno Renoul, 26 ans, travaille à Nord Eclair. Il occupe cette fonction depuis cinq ans. Son quotidien, ses convictions, ses doutes. Interview.

[singlepic id=728 w=320 h=240 float=left]DailyNord : Les médias ont fait une bourde sur l’affaire Younes en annonçant à tort son décès il y a quelques semaines (*). Après Typhaine il y a six mois, ça fait beaucoup pour la région…

Bruno Renoul : Techniquement, on ne s’est pas planté. L’AFP a eu une info de l’un de ses correspondants. Elle est censée être bonne, c‘était une question de confiance entre l‘AFP et son informateur, mais au moment où la dépêche paraît, on n‘est pas censé le savoir. C’est tout le problème du fait-divers et ça repose la question du recoupement des informations et de la multiplication des sources. Demain, si une source fiable, officielle, t’informe d’une chose, tu ne vas pas forcément vérifier auprès de toutes tes sources. Je trouve donc difficile de juger cette affaire de Younes.

DailyNord : Mais n’est-ce pas la dérive d’internet, tout simplement, avec son info en temps réel ?

Bruno Renoul : C’est sûr, la deadline n’est plus la même. Quand tu as un gros truc désormais, il faut le sortir en direct. D’autant que pour nous, presse écrite, il y a la pression de la concurrence des radios et télévisions. C’est devenu de l’immédiateté, tu fais une dépêche tout de suite, alors que parfois, il faudrait prendre plus de recul. Exemple de l’évolution du métier : en arrivant de reportage, on a souvent le réflexe d’écrire un article pour le site web avant de rédiger celui qui paraîtra le lendemain dans le journal. Ce dernier sera souvent plus posé et réfléchi.

DailyNord : Le métier a donc vraiment évolué depuis quelques années ?

Bruno Renoul :  Oui, ça a changé vis-à-vis d’Internet. Tu n’es pas obligé de faire la dépêche, mais il y a quand même une compétition avec les autres. D’ailleurs, sur le terrain, c’est plutôt marrant. Tu as de plus en plus de journalistes au téléphone avec leur rédaction pour dicter un premier jet plutôt que de chercher des infos.

« Des sources qui te récitent la leçon »

DailyNord : Fait-diversier. C’est bizarre comme choix de métier, non ? C’est volontaire ?

Bruno Renoul : Bizarre ? Non. En fait, c’est assez intéressant. Tu touches à tout, tu es indépendant. Tu es souvent à la Une aussi ! Si  je ne m’imaginais pas forcément fait-diversier, mon intérêt vient peut-être de deux choses : à La Nouvelle-République, mon précédent journal, j’étais journaliste de locale, mais dans le bureau des faits-diversiers. Ils avaient vraiment le côté vieux routards du journalisme. Et ils étaient plus dynamiques et bougeaient plus que leurs collègues de locale. Après, j’ai pris le poste à Nord Eclair il y a cinq ans, car il était vacant.

DailyNord : Mais qu’est-ce qui vous intéresse dans ce métier ?

Bruno Renoul : Les affaires en elles-mêmes ne m’intéressent pas plus que cela. J’aime le côté moins institutionnel que le fait d’aller à une conférence de presse par exemple. Même si au fil des mois, les faits-divers deviennent plus institutionnels… C’est ça qui est bizarre : tu as des sources qui te récitent la leçon…

DailyNord : Ça ressemble à quoi une journée de fait-diversier ?

Bruno Renoul : Jamais à une autre en tout cas… Le dénominateur commun, c’est le tour des sources. Lesquelles ? Ça, je ne peux pas les donner. Ce tour dure une à deux heures. En fait, c’est une sorte d’entente cordiale : tu as besoin de tes sources pour tes articles, elles ont besoin de toi pour montrer leur métier, rassurer la population, élucider des affaires aussi. Oui, on est parfois manipulé. A nous de croiser les infos. Mais c’est aussi une question de confiance dans tes interlocuteurs. Le mensonge par omission aussi est fréquent.

DailyNord : Vous avez couvert le cadavre mutilé de Cambrai. Quel intérêt ?

Bruno Renoul : Tu as envie de savoir. D’évaluer où ça s’est passé. Quand tu arrives là-bas, tu te rends compte que c’est le quart monde. En marge de la société. Tu interroges les voisins, tu essaies d’en savoir plus sur l’affaire, le contexte, etc.

« J’ai appelé la rédaction en chef pour savoir s’il fallait vraiment que je sonne »

DailyNord : On se fait souvent mettre dehors quand on sonne aux portes ?

Bruno Renoul : Quand tu frappes aux portes, les gens ont beaucoup de choses à dire ! Mais ça dépend des milieux. Dans les quartiers difficiles, tu es souvent mal vu et il y a parfois de l‘hostilité. On en a déjà vu se faire casser la figure. Dans les milieux populaires et classes moyennes, tu es bien accueilli. Après, chez les personnes plus aisées, non, en général, elles ne t’ouvrent pas la porte.

DailyNord : Frapper aux portes pour avoir des témoignages de parents sur leur enfant mort, ça c’est du voyeurisme…

Bruno Renoul : Non, je ne suis pas d’accord. Il y a deux ou trois ans, il y a une enfant qui s’était fait écraser à Lille. Ce n’est pas du voyeurisme d’aller frapper à la porte. Tu es là pour raconter la vie de ces gens. Pour savoir ce qu’ils ressentent. Tu veux en savoir plus sur la victime. Il ne faut pas oublier que tu représentes un journal de proximité. Ça intéresse les lecteurs, contrairement aux journaux nationaux.

DailyNord : Vous ne vous dites jamais « mais là, non, je ne peux pas faire ça » ?

Bruno Renoul :  Si. Je me souviens de la première fois qu’on m’avait demandé d’aller voir une famille dont la fille était morte dans un accident. J’étais devant la maison, j’ai rappelé la rédaction en chef pour savoir s’il fallait vraiment que je sonne. Résultat, j’y suis allé. La mère de famille était en larmes, elle m’est tombée dans les bras. En fait, elle n’avait vu que la police et les pompiers. Je n’ai pas exploité journalistiquement notre conversation, c‘était juste de l‘humain. Mais oui, parfois, tu ne te sens pas à ta place. Mais j’en reviens au voyeurisme : ce n’est pas nul de mettre la photo d’une gamine qui est décédée dans le journal. Après, tout reste une question d’éthique et de limites. Là, ça dépend du journal et du journaliste.

DailyNord : On dort bien la nuit quand on est fait-diversier ?

Bruno Renoul : Il y a des choses qui te hantent, mais on finit par se blinder. Je me souviens d’une affaire qui m’avait marquée. Un drame familial, un ouvrier SNCF qui s’était suicidé chez lui après avoir tué sa femme et ses enfants. Nous, journalistes, on en savait plus que ce qu’on a écrit sur les circonstances du drame. C’était violent humainement. On n’est jamais vraiment blasé. Et parfois, le soir, surtout au début, tu n’es pas loin de rentrer en pleurs.

« Pour deux fausses informations, combien de bonnes ? »

DailyNord : La spécialité de la presse régionale, ce sont les accidents de la route avec les photos. C’est nécessaire ?

Bruno Renoul : Il y a quelques mois, une femme a péri écrasée entre deux camions dans sa voiture. Je ne me mets plus jamais entre deux camions. L’accident de la route, ça ne m’amuse pas d’y aller. Mais je pense que la photo peut calmer les gens. On fait aussi de la prévention avec ça. Ensuite, si la métropole est bloquée pendant deux heures, il faut bien expliquer ça. Maintenant, il est vrai qu’il est plus facile de consacrer une demie-page là-dessus que de faire une vraie enquête de fond sur un autre sujet. Je suis d’accord.

DailyNord : Revenons aux erreurs des journalistes sur Typhaine et Younes. Vous vous êtes déjà planté sur un fait-divers ?

Bruno Renoul :  Sur ce genre de chose, non. Maintenant, au départ, j’avais un peu de mal avec la présomption d’innocence. J’essaie d’y faire plus attention.

DailyNord : Mais vous comprenez les commentaires des lecteurs : « ah les journalistes, ils se plantent tout le temps, etc » ?

Bruno Renoul : Est-ce qu’ils feraient mieux à notre place ? Certes, on est critiquables, tout est critiquable. En même temps, je comprends qu’ils doutent. Mais pour deux fausses informations en six mois, il y en a eu combien de bonnes ? Il est en tout cas sûr qu’on fera encore plus attention les prochaines fois.


(*) Retrouvez nos différents Textos sur ces deux affaires :

– Younes retrouvé mort, l’information erronée à la Une du web

– Disparition de Typhaine : quand les médias régionaux s’emballent

A consulter également :  La disparition de Younes à travers la presse

Et bien sûr votre lot de faits-divers sur Nord Eclair.


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3 Commentaires

  1. Merci pour ce témoignage vu du côté média. Il y a plusieurs points intéresants

    1°) Faire en effet les faits divers, ca doit être un peu comme un flic qui ne voit que les mauvais aspects de l’être humain…. Psychologiquement, en effet, faut se blinder, sous peine de ne voir que la partie sombre de l’être humain.

    2°) Et concernant les bourdes de l’AFP, ce ne seront pas les premières ni les dernières. Le souci qu’en l’AFP fait une bourde, c’est que l’impact est énorme puisque la majorité des médias reprenne l’info partout (télé, radio, info). Quand le mal est fait, c’est déja trop tard. L’opinion public a déja eu l’info. Difficile de revenir en arrière. Et rarement, il y a un correctif (ou alors pas très visible) ou de mea culpa.

    3°) Dépendre de « grossistes d’info » comme AFP ou Reuters, ca a ses avantages mais aussi ses inconvénients.

    4°) La course à l’immédiateté de l’info …ah sacré sujet. De plus, dans la course à la productivité, on demande toujours d’en faire plus avec moins aux journalistes. De ce fait, la qualité de l’info s’en ressent. Les PQR ont encore la chance de faire du journalisme de terrain (car pas autres sources). Dans certaines rédactions nationales, tout se fait pratiquement en bureau, en épluchant depeches AFP, Reuters et sites internet. Le summum de la rentabilité, vue par un patron de presse!

  2. Bonsoir,

    Comment peut-on dormir tranquille en ayant bafoué voir profité de la détresse, lorsqu’une personne se trouve un jour, une heure « paumé » et pense faire confiance ?! à un journaliste ? quelle stupide idée qui pendant des semaines, m’empêche moi de dormir ! mais quelle importance, le scoop et les félicitations sont pour vous le reste, aucune importance, pour vous !

    Croyez-moi, dans votre sommeil (de plomb) probablement, au fil du temps, cela vous rongera… longtemps mais le présent ne sera pas le même dans le futur…

    Je n’envie pas votre situation, votre « dépendance » à votre autorité qui bafoue toute moralité, et même respect de votre parole donnée… je vous plains profondément ! mais peut-être est-ce dû au choix de votre métier, mais quelle dépendance !!!

    Je ne vous envie pas, Monsieur, vraiment pas !

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