Un parcours de soins peut parfois s’avérer surprenant. En témoigne Jeanne, une Nordiste aux revenus modestes : pour une opération cardiaque dans un hôpital public de la région, un chirurgien lui a demandé quasiment dix mois de retraite. Dont 590 euros en dessous-de-table. Selon une étude, 3% de la population aurait déjà été victime de cette pratique totalement illégale.
[singlepic id=183 w=320 h=240 float=right]Jeanne (*) en a encore des tremblements dans la voix. Pourtant, l’histoire remonte à la fin de l’année 2008. « Je devais me faire opérer en chirurgie cardiaque, confie celle qui est originaire de la région de Cambrai. Mais quand je suis arrivée devant le médecin pour le premier rendez-vous à l’hôpital, je suis tombée de haut. » Alors qu’elle avait demandé une consultation publique, affirme-t-elle, le chirurgien lui aurait demandé une somme exorbitante : « Il voulait 4 500 euros en dépassements d’honoraires et 590 euros en dessous-de-table. Et en plus, une fois que la Sécurité sociale me remboursait, je devais lui redonner 800 euros ! » Soit près de 6 000 euros alors qu’elle ne touche qu’une modeste retraite de 600 euros… Impossible. Jeanne refuse l’opération. Rappelle son cardiologue local. « Il a été scandalisé, m’a assuré avoir transmis mon dossier dans le secteur public, que je ne devais pas payer de dépassements d’honoraires et encore moins un dessous-de-table ! Il a appelé un autre chirurgien de l’hôpital : lui aussi a dit que ce n’était pas normal, mais qu’il savait que ce médecin avait de telles pratiques. Et finalement, c’est lui qui m’a opérée. Tout a été pris en charge. »
Nous avons essayé d’en savoir plus auprès des médecins concernés par cette affaire. La plupart d’entre eux n’a pas souhaité s’exprimer, laissant nos demandes d’entretiens sans réponse ou évoquant juste « une pratique inadmissible, si c’est arrivé« . Au Conseil de l’Ordre des médecins du Nord, le Dr Bernard Decanter s’attarde sur les dépassements d’honoraires, mettant en cause la précipitation des patients : « Au téléphone, on lui a certainement proposé une consultation publique, mais qui demandait plus de temps pour le rendez-vous. Elle a alors choisi une consultation privée pour être prise en charge plus vite. Forcément, dans ce cas-là, il y a des dépassements d’honoraires. » Et des dessous-de-table ? « Vous avez une preuve de ce que vous avancez ? Non. » Donc, le Conseil de l’Ordre ne réagira pas : « Nous, on réagit quand il y a une plainte. Fondée. »
QUELS RECOURS ? Il ne faut pas se leurrer, il sera toujours difficile de prouver qu’un membre du personnel médical vous a demandé un dessous-de-table pour une opération. Et sans preuve, évidemment peu de possibilités de plaintes. Marc Paris, du CISS, conseille tout de même de faire remonter de telles informations. Au Collectif interassociatif de la santé, qui a une antenne et un correspondant dans la région, mais aussi directement à l’hôpital accueillant le praticien en cause : « Il y a des représentants des usagers. On peut s’adresser à eux. » Voire à la direction même de l’hôpital ou au Conseil de l’Ordre des médecins. |
La vérité restera dans le bureau entre la patiente et son chirurgien. Nous avons contacté Marc Paris, du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), basé à Paris, pour nous éclairer à la fois sur les dépassements d’honoraires dans l’hôpital public et les dessous-de-table. « Les médecins peuvent pratiquer des dépassements d’honoraires. En fait, pour garder les meilleurs médecins dans le secteur public, certains peuvent avoir des consultations privées. Mais si, en face, ils ont affaire à des patients qui n’ont pas les moyens de payer, ils sont d’abord tenus d’appliquer la règle du tact et de la mesure (des dépassements d’honoraires en fonction des revenus du patient) ou de les réorienter vers des consultations publiques. D’après votre patiente, ça ne lui a pas été proposé. » Rien de franchement illégal là-dedans. Mais évidemment, à l’évocation des dessous-de-table, l’affaire se corse : Là, c’est bien évidemment totalement hors-la-loi. Au niveau de la médecine, mais aussi au niveau fiscal. En tout cas, ça prouve que certains chirurgiens reconnus se croient pris d’une certaine immunité pour proposer ça. »
Cette dernière pratique serait-elle plus fréquente qu’on ne le pense, comme le laisseraient supposer quelques témoignages postés ci-et-là sur les forums internet ? Marc Paris évoque un rapport, réalisé par l’IPSOS pour le CISS : « Aucune étude n’existe pour votre région, mais en 2007, 3% des personnes interrogées en France disaient avoir été confrontées à des demandes de pots-de-vins de la part des médecins. Cette proportion passait à 6% chez les personnes en ALD (affections de longue durée)« . Sachant également que, dans ce genre d’affaires, peu d’informations remontent : « Les gens qui acceptent se sentent finalement autant coupables que victimes. Mais ils pensent à leur santé avant tout et acceptent de payer. » Quand ils n’ont pas une totale méconnaissance de l’univers médical : « Certains ne s’y retrouvent plus du tout entre les différents tarifs proposés. »
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